"Et si" de Fethi Akkari au Rio : représentation en miroir de la décadence sociale
- Mohamed Ali Elhaou
- il y a 5 jours
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Dernière mise à jour : il y a 22 heures
Les passionnés du théâtre ont pu assister le 1ᵉʳ novembre 2025 à l'Espace Le Rio à Tunis à une représentation de la pièce "Et si", distribuée, pour la première fois, aux Journées théâtrales de Carthage (JTC) en novembre 2024.
Entre temps, depuis la première représentation, il y a des comédiens qui sont partis et d'autres qui sont restés. La pièce est en effet un work in progress. Elle est constituée de plusieurs fragments de situations de vie. Le fil conducteur est le personnage de "Si Béchir" qui assiste souvent à ces bribes de la vie quotidienne mise en scène.

Le plus souvent, le personnage de "Si Béchir" témoigne donc d'une douleur sociale, une frustration permanente, des autres jeunes personnages qu’il rencontre sans pouvoir pour autant les consoler et les aider.
Il constate ainsi et partage le périple de l'acteur social en face de certaines atrocités de l’existence vécue. Dans d'autres configurations, "Si Béchir" fait sentir au spectateur à quel point un individu peut aller dans la démence, la criminalité, car il ne trouve pas de solution, d'issue à ses jours difficiles, injustes et sans lendemain qui enchantent.
En gros, le récit des fragments présentés dans la pièce "Et si" narre la frustration et la souffrance qui se manifestent à travers une expression frénétique, des cris de chagrins, des pleurs et des colères.
Ces états d'âme, en réalité des aveux de faiblesse, sont des vacarmes et des exaspérations marquant l'inadaptation aux exigences d’un monde en décomposition sur le plan des liens affectifs et des solidarités sociales.
Dans ces multiples voyages d’affliction, le temps imparti attribué à "Si Béchir", lui-même, arrive à sa fin. Il n'est pas à l'abri de son destin, de son propre tourment, il ne peut pas être à distance tout le temps.
"Et si" montre, dans cette perspective, que le spectateur ne peut pas être témoin à l'infini. À un moment ou un autre, il sera lui-même emporté. Un jour ou l’autre, "Si Béchir", doit, en d'autres termes, payer sa propre facture existentielle au même titre que le spectateur qui regarde cette pièce.

Dans cette tragédie, mais aussi en dehors, Fethi Akkari est un dieu du théâtre. Au sein de "Et si", il traverse les fresques qui sont présentées, imposant son rythme, son silence, son état figé mais en même temps ses soupirs qui résonnent du fond de la scène jusqu'au cœur du spectateur, produisant un effet de pincement.
Les 10 comédiens sur scène ont vécu et ont également fait vivre au public présent un moment d'expérimentation théâtrale dont seul Akkari, le formateur, connaît bien le code.
Le spectateur face à cette performance de multiples strates est, de fait, emporté par des moments de rires hystériques, inexplicables qui le surprennent, mais le plus souvent il est submergé par des moments d'impuissance face à des situations dramatiques que l'ensemble des acteurs ont bien véhiculées et les lui mettent droit en face de sa figure.
Sur le plan de son écriture, la pièce ne contient pas d'intrigue, c'est-à-dire une narration linéaire. Son récit est par conséquent éclaboussé, éclaté et labyrinthique, brouillant l'entendement de celui qui veut comprendre ou analyser cet objet théâtral en expérimentation et en recherche continues.
"Et si" comporte, en outre, un bon travail sur le son et sur les morceaux qui accompagnent le jeu des comédiens, ceux-ci comportent différents registres ainsi que maintes variations : du gazouillement des oiseaux au matin, au mézoued (chant populaire indigène) en passant par le chant classique ou encore psalmodique.
La lumière mobilisée est le plus souvent latérale. Elle trace et retrace un parcours, un cheminement et une trajectoire de vie pas toujours glorieuse, pour ne pas dire chaotique.
"Et si" au final prône la libération de l'esprit, la lutte incessante contre les dogmes sociaux et le rétablissement d'un vivre-ensemble qui fonce déjà droit dans le mur, au fil des jours. C'est une représentation qui déconstruit donc un système qui ne sait pas encore comment donner de l'espoir à sa jeunesse.
À ce titre, cette œuvre est universelle dans son questionnement et dans sa problématique, laquelle demeure heuristique et énigmatique à la fois.





















"Et si" une pièce profonde et en même temps belle, Akkari incarne le théâtre alternatif, bravo !