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12 Angry Men, de Sydney Lumet, s'invite à l'Isad : la communication peut-elle résoudre les maux sociaux ?

  • Mohamed Ali Elhaou
  • il y a 12 heures
  • 5 min de lecture

Dimanche 23 juin 2025 à l'Institut d'art dramatique à Tunis (Isad), les passionnés du théâtre avaient rendez-vous avec une œuvre substantielle se situant entre le cinéma et le théâtre. Il s'agit en effet de 12 Angry Men de Sydney Lumet.


Sept comédiens jouaient dans cette représentation, à savoir : Julia Souayeh, Senda Ahmadi, Wided Bargougui, Nourhène Jaafar, Jasser Hasnaoui, Adam Wakad et Rayen Sallem. Cette œuvre, à sa première diffusion au public, se jouait avec 12 acteurs ; elle a été adaptée à 7 comédiens, une heure durant, sous la supervision de l'artiste et universitaire Hamadi Louheibi. Il importe de signaler que ce projet a bénéficié de l'appui du Théâtre national tunisien (TNT) dirigé par l'artiste Moez Mrabet qui a vivement encouragé l'adaptation de cette œuvre.


Sept comédiens jouaient dans cette représentation, à savoir : Julia Souayeh, Senda Ahmadi, Wided Bargougui, Nourhène Jaafar, Jasser Hasnaoui, Adam Wakad et Rayan Sallem. Cette œuvre, à sa première diffusion au public, se jouait avec 12 acteurs ; elle a été adaptée à 7 comédiens, une heure durant, sous la supervision de l'artiste et universitaire Hamadi Louheibi.
Les comédiens, isadistes, dans 12 Angry Men ©culturetunisie.com

Twelve Angry Men est à la base une pièce traitant des questions raciales aux États-Unis. Notamment, elle questionne une problématique sociale : le crime est-il lié à la couleur de la peau ? Grandir dans un quartier démuni fait-il de l'individu un être violent de nature ?


À l'époque des années 50 aux États-Unis, les réponses à ces questions étaient de l'ordre des certitudes : les quartiers pauvres aux États-Unis sont le plus souvent des lieux assimilés à de la violence et à la consommation de stupéfiants.


L'adaptation faite par ces futurs comédiens tunisiens allait bien plus vers la dichotomie, existante dans notre pays, notamment à la capitale, entre quartiers riches et quartiers difficiles. Autrement dit, la problématique du racisme a été remplacée par celle du gap entre les classes sociales.


À l'époque des années 50 aux États-Unis, les réponses à ces questions étaient de l'ordre des certitudes : les quartiers pauvres aux États-Unis sont le plus souvent des lieux assimilés à de la violence et à la consommation de stupéfiants.     L'adaptation faite par ces futurs comédiens tunisiens allait bien plus vers la dichotomie, existante dans notre pays, notamment à la capitale, entre quartiers riches et quartiers difficiles. Autrement dit, la problématique du racisme a été remplacée par celle du gap entre les classes sociales.
Une partie des comédiens interprétant cette œuvre de Lumet à l'Isad ©photo sans auteur

Une heure durant, le public est donc mis dans une atmosphère chaude, d'enquête, de tension, mais aussi d'autodérision. C'est une ambiance claustrophobe dans laquelle les personnages agissent dans les limites de l'espace restreint de la scène.


Les performances de Julia Souayah, de Nourhène Jaafer, qui a beaucoup progressé, ainsi que de Jasser Hasnaoui se distinguaient du groupe. Aussi, Rayen Sallem a montré une grande justesse dans son livrable artistique. Chacun des autres comédiens apportait une couleur montrant que le débat est en réalité un mille-feuille de versions et d'arguments.


Ainsi la vérité se perd dans les versions et dans les diverses focales et perspectives. L'ensemble du processus de délibération est pris très au sérieux : les personnages sont enfermés dans une pièce exiguë, derrière deux portes verrouillées sans aucun lien avec l'extérieur pour faire sortir et construire une vérité.


La pièce montre que juger quelqu'un est une très grande responsabilité : envoyez un jeune en prison, et sa vie se dégrade pour toujours.


Aussi, cette représentation apparaît comme une remise en question sociale : qui juge qui ? Et quoi ?


Petit extrait de la pièce de 12 Angry Men, adaptée à l'Isad : ©culturetunisie.com

Force est de constater que l'intrigue se préoccupe moins de l'enquête sur le crime que de la "critique de la faculté de juger" à proprement parler, pour emprunter le titre du livre d'Emmanuel Kant. De ce fait, le public, tout comme les jurés eux-mêmes, dispose d'informations relativement restreintes sur l'affaire : les preuves sont de seconde main, le jeune adulte (le criminel) est à peine dépeint dans cette œuvre, et les informations globales sur l'affaire sont considérablement brèves et fragmentées.


Cette limitation dramatique est imposée intentionnellement pour permettre au public de se concentrer sur l'idée principale proposée par les comédiens : les jurés ont la lourde responsabilité de décider d'envoyer un jeune homme à la mort, et cette décision ne vient pas facilement.


La scénographie de cette adaptation du film est minimaliste avec une multiplicité d'ombre et de noirceur. Les visages sont à peine perceptibles dans cette pièce, comme si les comédiens voulaient reconstituer l'univers de ce film à succès, surtout dans les années 50. Ce film, qui est sorti en 1957, à une époque où la discussion sur l'impact négatif du racisme sur la société américaine commençait à se répandre. Cependant, les préjugés envers les Afro-Américains et les Hispaniques étaient encore largement acceptés par de nombreuses personnes de cette époque, d'où l’intérêt de ce film.

 

Les actes de cette œuvre se déroulent, en outre, dans le back-office d'un palais de justice. L'affaire impliquait un jeune en possession d'arme qui a tué son père. Ce dernier a reçu plusieurs coups et son corps est criblé de blessures corporelles et de cicatrices.


L'atmosphère fut tendue entre les membres du jury, car certains d'entre eux ne croyaient pas au fait qu'un enfant peut tuer son père. Le président du jury essayait toujours de maintenir l'ordre ; la délibération est difficile, les arguments pour inculper ou disculper l'accusé fusent de toutes parts.


Au fil du déroulé des discussions et des arguments, la majorité des jurés a d'abord favorisé un verdict de culpabilité, puis a progressivement changé d'avis. Un seul membre du jury, en l'occurrence, persuadant lentement les autres jurés pour qu'ils changent de position.


Le défenseur de l'accusé parmi les membres du jury mettait en avant les antécédents des accusés : par exemple, si le fait de venir d'un quartier difficile rendait quelqu'un plus susceptible de porter un couteau pour se défendre ?


La communication peut-elle résoudre les problèmes sociaux ?


Dans la pièce, les jurés sont piégés dans une petite pièce étouffante par une journée chaude et lourde, et ils n'ont d'autre choix que de communiquer, étant contraints de surmonter leur irritation, leur colère, leurs préjugés : non seulement envers l'accusé, mais aussi les uns envers les autres.


Aussi, Twelve Angry Men, la pièce adaptée à l'Isad, a bien montré les divergences et leurs intérêts personnels. Ceci a été magistralement mis en avant par l'ensemble des comédiens.


La communication par le biais des dialogues est le trait le plus fort de cette pièce. Il y a d'ailleurs l'absence du spectaculaire dans cette représentation, même si entre les scènes les comédiens ont voulu mettre le public dans une ambiance dynamique à travers des petites chorégraphies faisant fi d'entractes. Sinon, dans leur échange d'arguments, l'acting repose principalement sur le fait que les jurés ne font que s'asseoir et, occasionnellement, se déplacer dans la petite salle ; aucun effet visuel époustouflant ou luxuriant n'est présent dans cette pièce. Aussi, il y a presque une absence de masques théâtraux et les costumes sont principalement des vêtements de travail que le public a l'habitude de voir dans les bureaux des avocats.


Ainsi, la communication verbale et non verbale comme principal outil théâtral a permis aux personnages présents sur scène d'échanger des paroles, des observations, des diatribes, des colères, des excitations et des remontées d’adrénaline, ce qui a parfois rendu difficile de suivre les différents détails de cette représentation : difficile à comprendre à première vue. Toutefois, la communication entre les personnages a permis au moins de saisir leurs limites émotionnelles et leurs normes éthiques. Chacun des jurés apporte son propre "bagage" culturel et éthique, et sous la pression de la situation, les visions, les représentations du monde des personnages en discussion entrent peu à peu en collision.


Certains d'entre eux pensent que l'affaire est très simple à résoudre, d'autres fulminent contre la nature trompeuse de ces gens issus des quartiers difficiles, d'autres encore appellent à tout revoir et à recommencer à zéro, d'autres appellent à la nécessité de chercher d'autres éléments pour pouvoir juger et d'autres, au final, défendent les pauvres quels que soient leurs actes. Bref, le public est mis dans un labyrinthe de versions et de paroles qui le laisse sans réponse. Pièce à voir, si elle arrive à sortir du cercle universitaire.




1 commentaire

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Khmaeis Ben Younes
il y a 10 heures
Noté 5 étoiles sur 5.

Bravo pour l'article Si Mohamed Ali, vous avez très bien reconstitué l’œuvre

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