Nawbat Gharam au festival de Carthage : spectacle en rodage
Dans un temps chaud, marqué par le passage de moments à autres de quelques brises automnales, les gradins du festival de Carthage le 12 aout 2024 étaient emplis de personnes venant principalement de Kelibia, le Cap Bon, mais aussi d’autres régions. Celles venant de cette région sont vêtues en blanc, les femmes étaient très belles, comme des anges. Aussi, dans la soirée d’hier, il y avait de fins connaisseurs du monde de la musique dans notre pays et dans le monde.
Hier, c'était donc le spectacle Nawbat Gharam, (Bout d'amour, ndlr) laquelle œuvre réunit le trio Walid Ayadi en ce qui concerne la mise en scène, la poétesse Syrine Chekili ayant écrit 21 chansons (17 en dialectal et quatre en arabe littéraire) et Mohamed Ali Kammoun dans la composition et l’arrangement de la musique. Ce spectacle est le 7ᵉ représentation locale dans la programmation du festival de Carthage.
Ce projet est né en septembre 2021. Il est produit par le "Fonds d'encouragement à la création littéraire et artistique" ; mis en place depuis 2008 dans la législation du Ministère des Affaires Culturelles. C’est une comédie musicale se voulant en réalité un hommage au grand poète et compositeur Nourredine Sammoud décédé le 11 janvier 2022. Cette comédie musicale alterne en fait chant, théâtralité et chorégraphie. Elle se projette comme une ode à l’amour entre Amor, un homme de la Hafsia, le centre-ville de Tunis, un poète en manque d’inspiration et Nejma la femme tant convoitée et portant un regard critique sur la trajectoire de Amor. En ce sens, l'amour est représenté comme une quête permanente et une séparation bien plus qu'une réunion à la forme du Happy Ending, à la manière hollywoodienne.
Dramaturgie et musique du spectacle
La dramaturgie comme la scénographie sont conçues de manière transcendantale, c'est-à-dire le spectacle commence du bas en haut. En l’occurrence, la performance des artistes monte crescendo : le rythme calme, long et romantique du commencement se termine en un rythme rapide, énergique, voire agressif. Le public a été tenu en haleine deux heures durant. Il importe de signaler qu’il y a une attention particulière attribuée à la distribution du son dans l’espace de ce théâtre romain. En effet, la qualité du son lors de cette représentation a été bien meilleure de ce que précédemment vu tout au long du festival, même s’il y a de temps en temps quelques bruits et parasitages sonores.
Spectacle de grande envergure
Ce spectacle comporte une centaine d’artistes, voire plus, entre comédiens, chorale et orchestre. Aussi, il y a un travail sur les rôles, le maquillage et les costumes. Le maquillage est saillant, théatral et chaleureux. Ces costumes sont entre les habits traditionnels et les habits modernes. En outre, il y avait une mise en scène digitale à travers un grand écran mis au milieu de la scène (cet écran est-il à la place qu'il mérite ?) présentant les titres des morceaux joués et en même temps donne l’ambiance de la dramaturgie en cours. La chorégraphie était bel et bien présente, mais elle est encore en phase de rodage au même titre que le jeu entre les comédiens et les danseurs. D'ailleurs, le choix des comédiens est très judicieux, notamment la voix des chanteuses pas très connues du grand public, particulièrement la remarquable prestation de Bouthaina Nabouli, la présence de l’excellente Fatma Sfar et le grand chanteur Mohamed Ben Salah.
Spectacle en rodage
Il y a des moments blancs dans le spectacle : manque de fluidité entre les tableaux présentés et surtout la scène du festival de Carthage n’a pas réellement servi la représentation, car la chorale était très éloignée du public. Aussi, on voyait à peine les musiciens. Les chorégraphies ne sont pas jusqu'à présent belles visuellement et sont très rocailleuses, artificielles et désarticulées. De surcroit, au tout début du spectacle, le cadrage visuel n’était pas arrimé avec celui qui chante. Autrement dit, le public loin de la scène percevait faiblement qui est en train de chanter.
Quant à la musique, c’est en vérité presque des mélodies de feuilletons, de génériques. Par conséquent, cette musique n’a pas eu vraisemblablement un impact emportant sur l’auditoire. À vrai dire, il y a un sentiment du déjà écouté : peu d’émotions atteignant le cœur du récepteur, même si le sujet est l’amour, comme d’habitude.
En disant ces mots, l’objectif n’est pas de décourager les créateurs qui ont fait un effort indéniable. Ce projet selon Fares Khiari, journaliste expert du monde de la culture et de l’art, « est un excellent challenge […] la bonne chose de la comédie musicale, c'est que c’est un art vivant ouvrant la porte à plusieurs formes d’expressions lyriques […] j’ai voyagé à travers ce spectacle dans le temps, car il y a les traces de notre ADN dans les notes et les mélodies, il me semble qu’il faut encourager ce genre d’initiatives ». Mohamed Ali Kammoun veut toucher l’âme tunisienne, mais est-ce qu’il a réellement réussi ce pari à travers la musique de fusion qu’il présente ? Sa musique est à la fois moderne et ancienne. Mais la musicalité est moyenne pour ne pas dire faible. Parfois, on a l’impression d’écouter la musique du Douar (1992) à certain moment. Sur scène, un instrument comme le bendir se couple avec le piano et le clavier ou la flute se marie avec le saxophone ; mais jusqu’à quel point ? Le spectateur s’interroge surtout sur la cohérence de l’ensemble présenté, de ce projet très ambitieux et qui veut entrer dans la cour des grands, à l’image des frères Rahbani au Liban.
Pour l’instant, le spectacle comporte plusieurs parfums musicaux, mais qui demeurent sans âme véritable. Les textes ne sont pas audibles et la scénographie encore en construction : la disposition des éléments du spectacle à peaufiner pour plus de visibilité et de visuel. Ce tout, qui n’est pas actuellement bien ficelé, fait que l’émotion n’arrive pas à la plupart des spectateurs. Chose positive quand même, c'est que l’ambiance de la représentation apaise sincèrement, mais dont il faut davantage travailler la substance.
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