La triste vida de Joaquín Florido : se plaindre comme une forme de résistance
- Mohamed Ali Elhaou
- il y a 2 jours
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Dernière mise à jour : il y a 2 heures
Lors de la 26ᵉ édition des Journées Théâtrales de Carthage, le public avait rendez-vous le 26 novembre 2025 au Théâtre Municipal de Tunis à 20 h 00 pile avec une pièce en tournée mondiale, "La triste vida de Joaquín Florido". C'est en effet du théâtre qui vient de l'Amérique latine et plus particulièrement de la Colombie.
La mise en scène met l'accent sur un style de jeu farfelu qui ne tient pas en considération le 4ᵉ mur, lequel fait l'essence du théâtre classique. C'est en l'occurrence l'œuvre de la dramaturge María Adelaida Palacio.
La pièce dans son évolution est chaotique et elle dérange exprès l'entendement du spectateur. Ce dernier a l'impression d'être dans une fête débordante ou bien dans une querelle bien réelle.
"La triste vida de Joaquín Florido" déborde ainsi le cadre de la monstration c'est-à-dire qu'elle sort effectivement des limites traditionnelles de l'exposition pour s'étendre dans l'espace physique et interagir avec le spectateur à maintes reprises : il y avait par exemple la distribution de soda à l'audience présente en première ligne.
Cette pièce s'inscrit, de fait, dans une démarche artistique plus large que la simple présentation. Elle peut bel et bien être classée, certainement, dans la catégorie de théâtre de résistance.
Dans sa forme, cette représentation est une véritable ode aux petits gestes qui se transforment en luttes générales et aux personnages qui s'affolent brusquement en sortant de leur calme apparent.
L'intrigue
Florido, l'universitaire, était un type normal, socialement correct, mais ce jour-là quelque chose a changé : il n'y a plus d'eau et le service client de l'aqueduc l'a de nouveau leurré avec des promesses et des solutions qui n'arrivent pas. C'est la goutte qui va faire déborder le vase.
En effet, ce manège théâtral est inspiré de faits réels qui se sont produits en Argentine : un Argentin le 17 février 20217 prend sa serviette et va se baigner dans l'entreprise qui lui a coupé l'eau dans la ville de La Plata, en Argentine.
Ce qui lui est arrivé et sa vidéo se sont propagés comme une traînée de poudre sur les plateformes numériques.
María Adelaida Palacio, la metteure en scène, a transformé ce fait divers en une dramaturgie théâtrale.
Depuis 2018, cet incident de coupure d'eau est devenu, pour elle, un alibi, un prétexte, pour raconter l'anarchie imposée que subissent des acteurs sociaux en quête de construction et de lendemains bien meilleurs que ce qu'ils vivent dans une cité dite moderne ne respectant plus la dignité de personne.
"La triste vida de Joaquín Florido" transmet par conséquent au spectateur ce sentiment d'anarchie et lui fait sentir cette ambiance de chaos, qui lui est familière déjà, durant une heure et trente minutes, sans le moindre répit. Certains dans l'auditoire sont sortis de la salle.
La pièce, par le biais de ce récit, véhicule à la fois l'inconfort, le manque de tranquillité, le bruit, la douleur sociale avec un reflet acide et tragi-comique, qui n'éloigne pas le public de ses soucis réels, surtout dans les pays du tiers monde.
Ce récit vient comme une torche pour mettre les projecteurs sur la violence symbolique et matérielle que le spectateur vit au jour le jour.
Le comédien Felipe Botero, qui incarne le personnage de Joaquín Florido, sur scène, a été accompagné d'une troupe composée du musicien Vladimir Giraldo et des acteurs César Álvarez, Mónica Giraldo, Laura Nepta, Julián Peña et Juliana Herrera.

Florido, personnage déséquilibré ?
"La triste vie de Joaquín Florido" est interprétée par Felipe Botero, un comédien assez connu en Colombie.
María Adelaida Palacio présente à travers cette fable un universitaire, symbolisant la rationalité et le raisonnement qui perd d'un coût les pédales de son existence à cause des problèmes quotidiens qui dérangent sa conscience et son équilibre psychologique.
"La triste vida de Joaquín Florido" est donc une caricature de la routine de tous les jours en Colombie. À travers ce pays, ce qui est symbolisé est l'ensemble des pays en développement où il y a plusieurs strates de dysfonctionnements handicapant la volonté individuelle.
Florido est ainsi un universitaire moyen, un personnage triste, en quête d'équilibre et de bonheur des années durant, mais en vain.
C'est un personnage farfelu qui a passé son temps dans les livres et les romans, mais qui est extrêmement fragile et démuni face aux problèmes.
Dépassant la cinquantaine, il est indécis et fait face au constat que ses luttes intellectuelles mais aussi imaginaires s'avèrent sans signification contre un système qui, chaque décennie, injecte de nouvelles normes qui brouillent son métier d'éducateur.
À un certain moment de la pièce, pour exprimer son exaspération et son impuissance, le personnage Joaquín Florido dit avec grande certitude et rage : "L'enseignement, c'est de la merde !"
Florido au final est un homme qui, aux yeux des autres, peut passer pour un idiot, un taré, un névrosé, mais qui est susceptible d'avoir raison de vouloir s'exprimer et se plaindre d'un système oppressant qui refuse de plus en plus la liberté de s'exprimer et surtout de se plaindre.
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