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Yehia El-Fakharany dans King Lear : la trahison comme donnée fondamentale des relations de pouvoir

  • Mohamed Ali Elhaou
  • il y a 4 jours
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Les passionné(e)s des planches du 4ᵉ art avaient rendez-vous, samedi 22 novembre 2025, avec le théâtre classique, à savoir la pièce tragique de William Shakespeare, King Lear.


Ce spectacle grandiose d'ouverture de la 26ᵉ édition des Journées Théâtrales de Carthage (JTC) a débuté vers 20 h 45 à la prestigieuse salle de l'Opéra de la Cité de la culture à Tunis et a véritablement tenu sa promesse en termes de qualité artistique à la fois sur le fond et la forme.


Dans ce contexte, le journaliste Mohamed Sfar écrit : "King Lear a préservé les spécificités du théâtre classique et ne s'est pas beaucoup éloignée dans le récit et la présentation de ce qu'a écrit William Shakespeare, mais cette version arabe a généreusement soigné tous les effets qui créent le spectacle et captivent le public pendant trois heures sans l'ennuyer par la longueur de la représentation."


Album photos King Lear : crédit photos : culturetunisie.com


Et d’ajouter : "De fait, malgré la tragédie profondément ancrée dans la laideur de la cruauté humaine, avec ses ingratitudes, ses trahisons et son acharnement pour le pouvoir et le prestige, c'est l'art du spectacle vivant et non la manie du faire-visible qui a effectivement prévalu. Le metteur en scène Shady Srour a réussi avec excellence tous les détails qui transforment une tragédie en un spectacle visuel agréable à l'œil."


En comptant l'entracte, cette représentation s'est terminée vers minuit et 30 minutes. Son décor a été réalisé à la Cité de la Culture par les mains des artistes du Centre des marionnettes de cette même institution.


En outre, King Lear est l'une des productions phares du Théâtre national égyptien, son metteur en scène Shady Srour a utilisé les techniques les plus modernes de la représentation théâtrale que nous retrouvons, sans doute, dans le théâtre américain, notamment en ce qui concerne la technique du mapping ainsi que de la scénographie numérique.


Dans cette œuvre majeure jouent une pléiade d'artistes ainsi qu'une centaine de comédiens, parmi lesquels se trouvent des lauréats de l'Institut supérieur d'art dramatique de Tunis (ISAD).


Le féminin au cœur de la machination du pouvoir


Écrite entre 1605 et 1606, King Lear est parmi les pièces de Shakespeare les plus fréquemment lues, étudiées et adaptées. Ce chef-d'œuvre contient plusieurs strates de récit magnifiquement imbriquées, très difficile à aborder toutes dans le cadre de cet article.


À examiner de près un seul aspect de cette pièce complexe (car la pièce comporte plusieurs personnages et axes dramatiques), King Lear ne dresse pas une image reluisante de la femme. La fable est dominée par les thèmes de l'injustice, du pouvoir, de la cupidité et de la prise de décisions hâtives.


William Shakespeare, dans King Lear, place donc la gente féminine au cœur de la ruse du pouvoir et de la lutte des places dans un contexte de fin de règne d'un roi de Grande-Bretagne épuisé, joué somptueusement par le monstre sacré de l'art dramatique arabe : Yehia El-Fakharany. Désormais, plus de 80 ans, mais encore magique sur scène.


L'action de la pièce est centrée, en effet, sur le vieux roi de Grande-Bretagne, Lear, qui décide de se retirer et de diviser son royaume entre ses trois filles : Cordélia, Régane et Goneril.


"Le simple fait qu'il demande un "test d'amour" ou des adorations lyriques de ses filles pour décider de leur part de dot est à la fois ridicule et misogyne.", déclare une spectatrice.


Le roi Lear accepte aveuglément les mensonges séditieux de ses filles aînées qui le rassurent sur son importance, tandis que sa fille cadette, Cordélia, subit sa colère pour avoir été honnête sur ses sentiments. Elle exprime humblement son amour en disant : "Que dira Cordélia ?", une manière de ne pas répondre en fait.


Ainsi, le refus de Cordélia d'exprimer son amour plonge Lear dans une rage folle et, finalement, il l'exile du royaume. La brusquerie avec laquelle Cordélia refuse de jouer son rôle dans le "test d'amour" devient un des premiers nœuds dramatique de cette intrigue.


Sur ce point relatif à la brusquerie des sentiments, il importe de mentionner que l'écriture de King Lear a été faite au 17ᵉ siècle où la tendance esthétique était fondée, même dans la littérature, sur le style baroque, c'est-à-dire un art marqué par une irrégularité dans les sentiments et dans les formes. Celles-ci étaient caractérisées surtout par une profusion des ornements.


Au fil de l'évolution de la pièce, les trois filles de Lear deviennent les protagonistes et recalent leur père. Par les ruses de Régane et Goneril surtout, l'environnement du royaume est manipulé. Ces deux filles de Lear sont en fait représentées par Shakespeare comme vicieuses et avides d'argent et de désir à la fois de sensualité et de puissance.


Quant à la troisième fille, mariée au Duc de Bourgogne, elle fait le contraste avec ses deux autres sœurs. Ainsi, Cordélia est dépeinte comme angélique, aimante et dévouée, vertueuse dans ses actions et modeste dans ses paroles. Le parcours de King Lear se jouera à présent entre ces trois protagonistes.


Nature humaine dévastée par la volonté de puissance


Shakespeare, dans sa tentative de dépeindre la vraie nature humaine dans la pièce le Roi Lear, oppose de manière très conflictuelle ces personnages de femmes qui sont soit rêveuses (comme Cordélia), soit trompeuses et manipulatrices (comme Régane et Goneril).


Au fil de l'évolution de King Lear, la rivalité entre Régane et Goneril atteint une ampleur irréversible. Leur soif de pouvoir et leur cupidité les poussent à commettre des actes maléfiques contre ceux qui leur sont les plus proches.


Dans le fond, les actions des filles du King Lear sont représentées dans la pièce non seulement comme cruelles ou égoïstes, mais également comme une violation radicale de la nature humaine.


Dans cette perspective, Shakespeare représente des membres d'une famille royale complètement désintégrée et minée par la propension à l'élimination de l'autre, quel qu'il soit, même si c'est le roi Lear. Régane et Goneril trahissent donc leur père dans leur quête pour atteindre le pouvoir politique ultime du royaume.


Cela provoque un tumulte et un chaos menant à une fin tragique : ces liens primordiaux de sang minés par l'héritage du royaume sont profondément anéantis.


Shakespeare dresse ainsi de manière sociopolitique non seulement la nature brutale de l'injustice, mais aussi les dynamiques familiales et leur complexité destructrice dont le mobile est la trahison.


Au fil de l'évolution de cette fable, la révolte de Cordélia contre l'attitude autoritaire du roi Lear dans la scène d'ouverture de la pièce contraste fortement avec la fin.


En l'occurrence, ses devoirs filiaux et son amour sont la grâce salvatrice pour le roi déchu, mais moins une rédemption pour le noyau familial qui éclate en morceaux.


Même s'il se réconcilie avec Cordélia, le roi Lear ainsi que sa fille aimée n’arrivent pas à sauver leur foyer et le royaume, ni même tout simplement à rétablir la paix.


La pièce montre, en substance, comment le siège du commandement monarchique devient le lieu du déchirement ainsi qu'un maléfique objet de convoitise, si la succession se passe mal.


De fait, non seulement le symbole du pouvoir est émietté, dans cette configuration, mais aussi l'ensemble des membres du royaume qui sont également pris dans cette machination machiavélique et subissent trahison, vengeance et meurtre.


L'infidélité de Goneril à la fois à son père et à son conjoint est déclarée sur des tons lubriques et sa lettre passionnée à Edmund (cet aristocrate avide de noblesse et de royauté) révèle les intentions de sa sœur archidémon Régane de séduire le même homme.


Ainsi, cette sous-intrigue d'Edmund déchiré entre ces deux femmes souligne davantage la débauche et l'état corrompu des personnages féminins tels que représentés dans cette pièce.


Dans la pièce King Lear, la chasteté de Cordélia est glorifiée tandis que les entreprises pécheresses de Régane et Goneril sont totalement réprimandées. Leur relation envenimée se termine par une scène où elles s’entretuent en tout aveuglement.


Le spectateur devant cette chute s’interroge, pose principalement une seule question : Shakespeare aimait-il les femmes ?


1 commentaire

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La journaliste Amel Bou Ouni
il y a 3 jours
Noté 5 étoiles sur 5.

J'ai beaucoup aimé ton analyse. Moi, j'ai abordé la pièce sous un angle totalement différent.

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