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Mohamed Ali Elhaou

L'opéra Carmen à la Cité de la culture : talent, art et passion collectifs


Carmen séduit et prend le cœur du public, notamment quand elle se programme le jour de la fête de l'amour. En effet, l'opéra de Bizet, monté pour la première fois sous nos cieux, les 14 et 15 février, à la salle de l'opéra à la Cité de la Culture, a fait vers 19 h salle comble. Ce spectacle durant deux heures et 15 minutes a réussi à émouvoir l'auditoire en mettant en avant l'esprit libre de la femme incarnée par Carmen et le thème de l'amour universel avec ses fluctuations.


Crédit photo : Musicien.tn


Chorégraphié et dirigé par Sofien Abou Lagraa, d'origine franco-algérienne, et mis en scène par le Ballet de l'Opéra et l'Orchestre Symphonique Tunisien, cet opéra, un spectacle inédit, a été objectivement un franc succès. En l'occurrence, les longues files d'attente, durant les deux jours de représentations, pour entrer dans la salle confirment la soif d'art, de culture et de beauté chez nos concitoyens. Il faut dire que plusieurs acteurs se sont intervenus pour la réussite de ce projet. Celui-ci a pour ambition de voyager à l'international et à être programmé lors de la prochaine édition du festival de Carthage cet été.


Ces acteurs sont le ministère des Affaires culturelles, le ministère du Tourisme par son organisme l'Office National du Tourisme, l’Institut français de Tunisie, l'Institut italien de Tunisie, le grand producteur d'art Tarak Ben Ammar, l’équipe de Cartago Film et l’équipe de Latrache. La coordination a été faite par Sihem Belkhodja amatrice des grands spectacles depuis celui de Michael Jackson en 1997. Ce spectacle avait comporté 180 artistes et mobilisé 20 techniciens. Aussi, un orchestre symphonique a accompagné cet opéra sous la baguette de Fadi Ben Othman. Aussi, le Chœur de l’Opéra de Tunis sous la direction de Elyes Blagui a été mobilisé pour ce bal.



Crédit photos : Musicien.tn


Carmen, femme forte, mettant les hommes à ses pieds


Cet opéra n'a pas pour ambition de livrer un message, mais plutôt de raconter une histoire romantique : l'amour n'est jamais loin. Quand on ne l'attend plus, il est là pour basculer toutes nos attentes ! Cet opéra nous rappelle que cet amour, libre né, libre mourra, ne sera jamais emprisonné dans des codes. C'est quelque chose à laquelle toute une population est prise à témoin. Dans Carmen, c'est un amour dangereux qui est appréhendé. La version présentée le 14 février ne met pas en exergue une fin funeste du personnage principal, comme c'est le cas dans l'œuvre originelle. Toutefois, la version de Sofien Abou Lagraa ne manque pas d'entrainer Carmen et ses deux prétendants dans un tourbillon de folie et de perdition.


En l'occurrence, Carmen, le personnage principal de cette œuvre universelle, interprétée excellemment par Maram Bouhbel, tantôt cigarière, tantôt contrebandière, tantôt sorcière, est souvent amoureuse. Elle est capable de faire déserter le brigadier Don José (Hassen Doss) ou de persuader le torero Escamillo (Haythem Hadhiri). En toute tendresse et russe, elle les manipule avec aisance. Elle les dresse à sa guise l'un contre l'autre, quand elle se trouve dérangée par l'un des deux. Elle est l'alliée de l'amour, de la sensualité, du temps présent, du plaisir, comme une abeille en rébellion. Dans l'œuvre originelle, c'est en deux temps que Prosper Mérimée a construit un conte. Celui-ci a été repris par Georges Bizet. Il a rajouté une théâtralité à son récit au point de rendre Carmen un personnage mythique dans le monde de l'art lyrique. Le spectacle vu à la cité de la culture insiste sur cet art visuel collectif. Pour les costumes, deux styles différents s'affrontent : l'un plus moderne et l'autre plus traditionnel. L'esprit de Carmen veut se sentir libre. Dans cet opéra, la fraicheur des danseurs attire l'attention. La chorégraphie est élégante, coordonnée et accompagnant fluidement la dramaturgie de Carmen.

Extrait de la vidéo du spectacle du 14 février 2024


Le personnage de Carmen est celui d'une femme libre écoutant son désir uniquement sans se soucier des convenances. C'est une femme qui défie la mort sous la pointe du couteau d'un déserteur dévoré par la passion. Si Carmen représente la passion, Micaela (Amina Baklouti, Nesrine Mahbouli) est l'autre protagoniste féminine, connotant la pureté, la chasteté, le conservatisme et l'attachement aux règles héritées. Ces différents personnages justifient le tiraillement d'une femme entre le désir des libertés sans limites, de la chaire et les normes sociales restrictives. Ces dernières reviennent parfois avec force, comme à notre époque, pour censurer le corps.


Dans l'adaptation de Sofien Abou Lagraa, Carmen ne meurt pas et épouse Escamillo


Qui dit mythe, dit infinité de lectures possibles. Bien qu'il soit devenu l'opéra le plus populaire au monde, Carmen demeure une œuvre supportant les approches les plus novatrices, comme tout chef-d'œuvre universel. La conception du metteur en scène Sofien Abou Lagraa transmet des émotions vives, son interprétation nous permet de voir Carmen, magistralement interprétée par Maram Bouhbal, à travers les yeux de José. Dans le vertige d'une direction d'acteur précise, le public assiste à l'éternelle danse à deux; d'un amour qui ne fane jamais. D'ailleurs, dans Carmen de Sofien Abou Lagraa, Don José ne la tue pas. Il préméditait son acte de tuerie, mais se trouve freiné par le destin. Au final, Carmen épouse Escamillo. La fin est bel et bien heureuse et non tragique.

Collaboration réussie avec la costumière italienne Paola Lo Sciuto


Le soutien de six musiciens de l'Ente Luglio Musicale Trapanese, dirigé par le maestro Fadi Ben Othman, et du Chœur de l'Opéra de Tunis, dirigé par Elias Balaghi, concourt en partie à la réussite de cette représentation. Autrement dit, celle-ci est le résultat d'une série de résidences de création et d'une collaboration avec l'Institut français et l'Institut culturel italien de Tunisie. Ces deux instances culturelles internationales ont facilité les besoins de la cheffe d'orchestre Nicoletta Conti, de la costumière Paola Lo Sciuto et des six musiciens. Ces derniers ont préparé une formation pour ce spectacle trouvant une belle résonance chez de jeunes talentueux artistes locaux, qui ont montré un grand intérêt pour cet opéra. En témoignent les propos suivants :


"Je suis très heureuse, affirme Nocoletta Conti, d'avoir pu participer à cet événement extraordinaire. La mise en scène d'un opéra tel que Carmen est déjà très complexe, et pour la première fois à Tunis, elle réunit autant de personnalités, professionnelles et non professionnelles, pour réaliser un spectacle ambitieux en si peu de temps. Ceci a été une entreprise réussie et extraordinaire. Je suis heureuse du résultat, malgré de nombreuses difficultés" [...] "voir l'engagement, le dévouement et la volonté de réussir de tous les collaborateurs, assistants et techniciens, en particulier de Sihem Belkhodja, directrice du département de la danse de l'Opéra de Tunis est quelque chose de merveilleux".


Elle ne manque par dans le même sens de rappeler que le chorégraphe et metteur en scène, Sofien Abou Lagraa, avec qui elle collabore depuis des années, a fait un travail conséquent dans le fait de matcher la méthode de travail local habituée à des spectacles minimalistes artistiquement avec des méthodes de travail différentes et éloignées du contexte tunisien qui sont celles de l'opéra ; lesquelles exigent une culture extrinsèque, exhibitionniste et enrichissant matériellement la scénographie.


Performance mémorable en seulement trois mois


Les témoignages recueillis en coulisses révèlent l'engagement pour réaliser ce spectacle mémorable. "C'était vraiment un plaisir de réaliser ce projet avec l'orchestre, mais aussi avec des enfants qui ont vraiment assuré", commente Kais Harbaoui, danseur professionnel au Ballet de l'Opéra de Tunis.


De la coordination des différents éléments artistiques à la création d'une cohérence harmonieuse sur scène, chaque détail a été soigneusement orchestré pour sceller un succès qui veut se projeter dans la durée. Zeineb Cherif, jouant Mercedes, directrice artistique adjointe du chœur tunisien, raconte : "ce fut une expérience merveilleuse pour moi ainsi que pour mes amis, collègues, artistes, solistes, car nous avons relevé le défi de cet art difficile qu'est l'opéra. Nous avons eu beaucoup de plaisir à travailler avec les danseurs et à nous déplacer sur scène. Le chœur et l'orchestre dirigés par Fadi Ben Othman et Ilyes Blagui étaient très puissants. C'est une fierté d'avoir réalisé un opéra en trois mois avec des artistes locaux !"


De son côté, le ténor Hassen Doss a exprimé son grand enthousiasme pour sa participation à Carmen. Il espère que l'opéra s'insère davantage dans les habitudes locales et dans la consommation culturelle et artistique par une présence régulière tout au long de l'année ; surtout auprès d'une jeune génération se voulant libre de toute autorité.

Mohamed Ali Elhaou



  • Cf., Vanessa Tomassini, "Per la prima volta “Carmen” non muore e conquista Tunisi. Sul palco tanto talento, arte e passione", strumentipolitici.it, article publié le 17 février 2024, dernière consultation, le 19 février 2024.


  • Les danseurs sont : Houda Riahi, Omaima Manai, Wael Marghni, Abdel Monaim, Khemis Hazem Chebbi, Hichem Chebli, Cyrine Kalai, Ranim Kefi, Omar Abbes, Baya Bouzgarrou, Sabrina Zehri, Fatma Balti, Abdel Kader Drihli, Hamdi Trabelsi, Khouloud Ben Abdallah, Kais Harbaoui, Houssem Eddin Achouri.





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Guest
Feb 20
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Article instructif merci

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