- Mohamed Ali Elhaou
Godzilla d’Aous Brahim : des personnages obsédés, peureux mais ne perdant pas la communion
Ce 7 juin 2024, le public a été bel et bien présent à la salle du 4ᵉ art à Tunis pour regarder la énième représentation de la pièce de théâtre Godzilla le phénomène du jeune metteur en scène et interprète Aous Brahim. Cette pièce est une coproduction entre le Théâtre national et le Centre des Arts Dramatiques et Scéniques de Bizerte. Cette représentation dure 90 minutes et englobe six comédiens à savoir Lotfi Turki, Feryel Ben Boubaker, Marwane Mernissi, Islem Ben Salem, Oussama Chikhaoui et Ikram Dahmani. Ils sont respectivement dans les rôles d’Abdelwahed, un enseignant-chercheur de géologie, Nadia, une ouvrière dans une usine fabriquant des stylos, en manque d’affection, Slim voulant toujours faire la fête, Maissa la fille rebelle, Mehdi allant devenir Godzilla, un personnage bizarre dès le départ de la pièce et Hadda la sœur de Slim, une battante.
Singularité de cette représentation : la chorégraphie
Ce qui attire dans la pièce Godzilla, c’est son esprit jeune et dynamique. Aussi, il y a une recherche sur la chorégraphie grâce au travail de Mariem Ben Hmida. En fait, cette pièce comporte plusieurs univers musicaux allant de la musique house à la chanson française traditionnelle. Les morceaux dans cette représentation régalent vraiment le public. Aussi, les sons musicaux s’articulent avec harmonie aux actes de l’intrigue. En effet, Godzilla raconte comment six personnages ont été coincés dans un ancien bar et qui se trouvent dans l’obligation d’arrimer leurs différences et de les dépasser afin de pouvoir affronter l’arrivée de l’ogre, « wahch », qui est Godzilla. Celui-ci est attendu tout au long de la durée de la pièce pour apparaitre au final avec sa grande queue en couleur au spectateur. Les six personnages sont tous obsédés par quelque chose : l’amour de la chair, la fête, l’alcool, le danger, la revanche et l’humour.
Théâtre désarticulé
La pièce est inspirée de l’œuvre du dramaturge Heiner Müller s’intitulant Hamlet-machine (le nom original est Die Hamletmaschine, Heiner Müllers Endspiel ), elle s’inscrit dans le théâtre dit post-moderne. Elle a été écrite en 1977. En réalité, et c’est ce qu’a fait Aous Brahim, c’est la reprise de Hamlet, mais cette fois-ci avec une forme chaotique et désarticulée. Les personnages de Godzilla sont bourrés de problèmes et débitent une parole incohérente, excitée et colérique. Quand ils n’arrivent plus à exprimer leur douleur commune et propre à chacun, ils commencent à danser ensemble.
Le fil conducteur de ce théâtre hermétique, c'est qu’il n’y a pas, à examiner de près, de fable intelligible. Le seul sentiment clair demeurant chez le spectateur est la présence de la peur aux différents moments de la pièce.
Scénographie minimaliste
Le public a été confronté donc à cette scénographie dès le départ. Il a trouvé les comédiens en train de l’attendre avec une musique chill out. Le spectateur s’engage directement dans un environnement chaud renvoyant à la jungle. Le son de l’ogre arrivant, guète le public à tous les moments de la représentation. Ceci nous rappelle l’univers cinématographique utilisé par le grand réalisateur américain Francis Ford Coppola dans son mythique film Apocalypse Now. La scénographie est très minimaliste, elle est composée de deux chaises et une table. Le spectateur aurait pu voir mieux. Car cela se voit que l’ambition de cette pièce est grande, mais qui donne le sentiment de l’inachevé, surtout dans tout ce qui est visuel. En d’autres termes, le minimalisme ici n’a pas réellement servi la représentation ni l’effort formidable fourni par l’ensemble des comédiens.
En substance, la pièce montre que la frontière n’est pas réglée définitivement entre l’être humain et l’animal ; elle porte aussi un regard très dénigrant sur le scientifique qui apparait sans scrupules dans un scénario fin du monde et produisant, selon le metteur en scène, un savoir obsolète, désuet qui n’est plus écouté ; la seule vérité de cette pièce, c'est le collectif, l’esprit de groupe, la jeunesse, la danse et la synchronisation. Au final, travail inédit, méritant déplacement pour voir un théâtre innovant, créatif, mais aussi très déviant et parfois incompréhensible.
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