Rencontre avec Abderrahman Cherif sculpteur et fabricant de masques
- Mohamed Ali Elhaou
- 31 août
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 sept.
Abderrahman Cherif est un artiste polyvalent né le 25 mai 1995 à Mehdia au gouvernorat de Chebba, plus précisément, une ville côtière au centre de la Tunisie et le plus souvent paisible.
Il a fondé en 2022 sa propre entreprise, "The Unified Theater", "Le Théâtre unifié". Récemment, culturetunisie.com l'a rencontré fin juin 2025 pour explorer son profil et mettre en avant son savoir-faire, car cela mérite sincèrement le détour.
Sa dernière actualité consiste à avoir participé à une exposition collective à l'espace "Le Central", une galerie d'art contemporain, située au 15 avenue de Carthage, à Tunis.
"Abdou" Cherif, comme ses amis aiment l'appeler, a reçu une formation théâtrale, notamment à l'Institut supérieur d'art dramatique à Tunis dont il a été diplômé en 2019.

Peu à peu, il s'est donc spécialisé dans les métiers adjacents au monde du théâtre, toutefois, très juteux. La confection des masques, l'une des spécialités qu'il peaufine avec le temps, est le travail qu'il avait présenté dans cette exposition nommée "Protocol" qui a débuté le 22 mai et s'est poursuivie jusqu'au 20 juin 2025.
Ces masques peuvent être à la fois utilisés dans le monde du 4ᵉ art, mais aussi comme un objet de décoration, car ils recèlent un savoir-faire sculptural indéniable. Au fil du temps, Abdo Chérif a construit cette passion peu à peu, dans le calme, le silence, à l'abri de la concurrence et du bruit du monde.
Son atelier est situé en plein cœur de la Médina de Tunis, où Abdou a décidé de s'installer pour nourrir sa passion. Les masques fabriqués par ses soins proviennent d'un processus de recyclage des papiers usés et des cartons qui sont le plus souvent abandonnés dans les rues et ruelles. Cette technique s'appelle le papiétage ou la création à travers des pâtes en papier ou encore la technique du papier mâché. Pour l'exposition "Protocol", un seul masque est fabriqué avec le recyclage du verre.
En ce qui concerne la couleur blanche dominante dans les visages fabriqués, il explique : "la couleur blanche toujours présente dans les masques est en vérité celle des couleurs des papiers. En ce sens, je n’ai pas fait de coloration par souci de garder leur aspect naturel. En même temps, à regarder de près, il y a une variation du gris au blanc dans la confection de ces masques, ce qui fait qu’il y a bel et bien des reliefs dans chacun de ces objets d’art. Dans l’exposition, le blanc est ainsi dominant, sauf pour le masque intitulé "Viator", qui est en verre et symbolise le voyage et les variétés culturelles à travers le monde."
Le procédé de la conception du masque et de sa réalisation consiste tout d'abord à imaginer le visage du personnage sur de l'argile blanchâtre et par la suite vient l'opération du moulage, c'est-à-dire la confection d'un prototype qui devient à son tour une source de reproduction du même masque, dans une configuration de commande bien évidemment.
Le moule, en effet, supporte l'opération du papiétage, c'est-à-dire le fait de produire la pâte à papier sur le moule en argile. Cette pâte reprend, en l'occurrence, la forme du moule et donne un masque léger susceptible d'être utilisé, entre autres, lors des performances théâtrales.
La pâte, molle au départ, se solidifie et devient après un temps de repos très rigide, à l'image du marbre. En même temps, elle produit un masque léger.
L'entreprise d'Abdelrrahman Chérif collabore, en outre, avec plusieurs institutions éducatives dans le pays, et elle a appuyé plus particulièrement le théâtre scolaire.
"La production des masques dans notre pays est très rare. Pourtant celles et ceux qui se spécialisent dans les arts de la scène ont besoin de cet accessoire pour accompagner leur rendu artistique", dit-il.
Aussi, un masque n'est pas à la portée de toutes les institutions, car il coûte très cher (par rapport au pouvoir d'achat local) à la fois à l'échelle nationale qu'internationale. Ainsi, pour donner une idée, un petit masque peut être à partir de 1000 euros (3500 dinars en monnaie tunisienne). Le travail d'Abdou coûte moins cher que ceci, mais demande des encouragements et de la mise en avant à la fois par les professionnels du secteur mais aussi les institutions de l’État.
En ce qui concerne la question pourquoi les masques en papier et pas en cuir, ces derniers très demandés dans le monde du spectacle, il répond : "entre la recherche, la conception et la réalisation, ce processus peut me couter quatre jours. En ce qui concerne les masques en cuir, cela peut se faire et se développer car il y a véritablement besoin de cet ustensile qui est un outil de travail pour le 4ᵉ art et pour la performance du comédien en particulier. En effet, le moule des masques en cuir n’est pas fait d'argile mais plutôt en bois. En effet la sculpture se fait sur du bois. Car le cuir, pour qu’il puisse devenir malléable et souple, se fait moudre et s’étale sur du bois pour qu’il donne la forme souhaitée."
Et d'ajouter : "ces masques sont des masques expressifs. Chaque masque a, en effet, sa propre personnalité et son expression figée qui aident le comédien sur scène à mettre en place son livrable artistique. Autrement dit, chaque masque est composé de lignes, celles-ci doivent s’articuler avec l’esthétique du corps du comédien."
À chaque masque correspond donc sa propre marche, son propre mouvement. En fait, même si l'artiste travaille sur le côté visage, ceci n’empêche pas moins l’imagination de tout le corps qui correspondrait à ce visage et à cette expression.
Par rapport à la création de son entreprise, il répond : "j’ai fondé en effet mon entreprise "Le Théâtre unifié" en novembre 2022. J’ai appris beaucoup de choses sur les plateformes numériques, notamment tout ce qui a trait à l’administration. J’ai appris en l’occurrence la gestion administrative des projets via le numérique. Pour tout ce qui est patente, j’ai recouru à l’expertise d’un expert-comptable. Mais par la suite, vu la cherté des dépenses que demande celui-ci par rapport au bon de commande que j’avais au commencement, je suis arrivé à la conclusion que je dois compter sur mes propres moyens et mes propres capacités intellectuelles et pratiques."
Et d'ajouter : "pour celles et ceux qui veulent mettre en place une entreprise théâtrale, je leur conseille par expérience le statut de société anonyme à responsabilité limitée (SARL) car il permet de retrouver des partenaires, des collaborateurs et de travailler donc en groupe. Chose nécessaire dans le 4ᵉ art, entre autres. Pour la vie d’une entreprise artistique, le plus difficile est à la fois le démarrage mais aussi la pérennité de l’entreprise. En regardant derrière moi, je me suis dit qu’avec mon partenaire et moi-même nous avons mis sur pied cette entreprise sans appui public et avec nos propres moyens. Peu à peu "Le Théâtre unifié" a commencé à avoir un portfolio, notamment un carnet d’adresses à l’étranger. Ce portfolio est un dossier "officiel" enregistré dans les organismes reconnus de l’art contemporain, en ce qui me concerne, et qui permet de participer à des expositions à l’international et de faire connaitre son savoir-faire et d’accéder au marché de l’art mondial, du moins de temps en temps."
Quant à la question de compter sur un professionnel du marketing et du marchandage, il dit : "pour l’instant, je n’ai pas de Manager, un bon marchand d’art avec qui je travaille, mais c’est l’étape qui me manque afin de rendre plus viable ce que je fais, surtout que j’ai choisi de vivre – je n’ai pas choisi l’enseignement par exemple – de ce métier de conception et de réalisation des objets et des accessoires artistiques qui servent les arts de la scène de théâtre, entre autres. Au final, cette passion pour les masques vient des films de stop motion, où il y a une vraie connaissance des mouvements et de l’action filmée. Au-delà des compétences des masques, mon entreprise est spécialisée dans le décor de théâtre. L’année dernière, en 2024, mon entreprise "Le Théâtre unifié" a effectué 60 marionnettes qui sont spécialement utilisées dans les écoles. Aussi, j’ai livré dans ces trois dernières années à peu près 50 masques. Par rapport au temps consacré à la durée du travail et aux matériaux utilisés, les prix de ces outils de théâtre sont très abordables en comparaison avec le marché international. Ces prix que propose mon entreprise varient entre 150 dinars et 1600 dinars."
Cet artiste prometteur, Abdelrahman Cherif, a fini par donner un prix, car pour lui l'art ne peut pas se mesurer à l'argent.





















Commentaires