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  • Mohamed Ali Elhaou

Sous le signe du dinosaure de Abdelwahab Jemli : marginalité et des lendemains sources de peurs

 

Le 17 mars 2024, le public de l’espace Be Actor Studio situé à Manar II avait rendez-vous avec une lecture théâtrale faite par un duo d’acteurs professionnels confirmés dans le monde dramatique, à savoir Taoufik Ayeb et Abdelmonem Chouayet. L’idée de ces lectures est de faire revivre au public la tournée de cette pièce de théâtre, inédite et purement locale, qui a été présente, notamment à l’ouverture du festival de Hammamet en 2011. La pièce s’intitule Sous le signe du dinosaure. En effet, c’est un texte du défunt Abdelwahab Jemli, un jeune metteur en scène, parti très tôt de notre monde. Cette pièce a été produite au départ par Créatis production, en 2008, avec le concours de Ramzi Azaiez. Cette fiction a été écrite dans un contexte de dictature. La métaphore du dinosaure, dans son premier niveau d’interprétation, va plutôt dans le sens d’un animal gigantesque, ne comprenant que la logique de la force physique. C’est un animal très fort, mais incapable de réflexion : agissant agressivement et par la terreur. Le dinosaure, selon l’œuvre de Jemli, ne prolifère que dans un monde sauvage : le survivant dans ce climat ne peut être que le plus capable d’effrayer les autres.  


Abdelwahab Jemli dans l'une de ses dernières apparitions en 2010


La pièce au niveau de la forme et du fond


La prestation du grand acteur Taoufik Ayeb et du talentueux Abdelmonem Chouayet est très convaincante. En effet, ces lectures font revivre, avec des petites séquences vidéo diffusées en arrière-plan des deux divans sur lesquels se placent les deux acteurs, les coulisses de la préparation de ce travail créatif.


Jadis, la pièce du théâtre avait été murement préparée par ces deux immenses comédiens à l’espace Zed pour les arts situé à Bab Souika en plein cœur du centre-ville un certain été de 2011. La lumière dominante de ces lectures théâtrales était le bleu. La performance des deux comédiens fût très sincère et impliquante. Ils ont réussi à faire passer l’histoire au public à travers un échange de comédie synchronisé, faisant surgir le texte par un jeu théâtral très profond dans l’intonation vocale, le geste corporel, le rythme et la cadence de la prononciation.


Taoufik Ayeb et Abdelmonem Chaouyet sur scène le 17 mars 2024 à l'espace Be Actor Studio


Esthétiquement, c’est le théâtre le plus simple, mais aussi le plus difficile à réaliser, car il se fonde principalement sur la capacité d’interprétation du comédien sur un texte immuable. En ce sens, très peu de place est laissée à l’improvisation. De ce fait, la mémoire du comédien est exigée fortement et sa créativité réside dans la façon de s'approprier l'écrit et la ponctuation. En outre, le texte de Abdelwahab Jemli est sincèrement un chef-d’œuvre, lequel est porté par Chouayet depuis la mort de Jemli ; en signe de fidélité à leur collaboration, mais aussi, car la pièce est très actuelle aujourd’hui à un moment où notre pays cherche une vision claire et est en quête de prospérité matérielle et idéelle.



Sur le fond, la pièce est une rencontre entre deux aveugles placés dans un centre thérapeutique. C’est d’un côté Youssef, jeune aimant la peinture, mais qui avant de devenir aveugle était ouvrier de chantier ; et Jaafar, musicien et ancien militaire, jouant du Tar (tambourin arabe appelé aussi Riqq), avant et après son accident. Et demeure attaché à cet instrument, même s’il déteste tout désormais. Jaafar se projette uniquement dans le repli sur soi. Il ne veut plus voir ni sentir personne. Il refuse le toucher, la consommation de la chaire. Youssef est un jeune de 25 ans désespéré dont le seul espoir est de dormir. La pièce parle de deux générations brimées ayant perdu toute espérance et toute volonté à changer leur quotidien et leur destinée. Jaafar n’aime pas le bruit, quelle que soit sa provenance. Or, le bruit est le premier signe de la vie.


C’est un vieux qui adore la solitude et l’exil. Il se pense en grand et estime que l’environnement l’entourant n’a pas reconnu son talent et ne lui a pas donné le poids ni l'honneur qu’il pense et espère mériter. Le personnage de Youssef est encore attaché à sa mère. Il symbolise la faiblesse, l’attachement à la seule personne qui a su l’aimer et le considérer. Youssef incarne la désocialisation. C’est un jeune hésitant, indécis et facilement manipulable. Le personnage de Jaafar affirme à un certain moment de la pièce qu’il est de la descendance de Dracula. Un mort-vivant dans un environnement lugubre et encombré par le sang et les atrocités de tout genre. Le jeune Youssef, après la mort de sa mère, est livré à lui-même et ne sait plus où se donner de la tête.


Les deux personnages illustrent donc l’égarement et la marginalité. Leur jeu miroite une société malade et effrayée, entre autres, par une illusion. Cette illusion selon la pièce devient la norme dans laquelle les individus ont de plus en plus peur des dinosaures, c'est-à-dire des lendemains qui ne chantent pas, voire qui incitent au désenchantement et à la perte du sens. Pièce vraiment à revoir, si elle se remet de nouveau en tournée.

 

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