Le marché de l’or de la Médina perd-il de sa flamboyance ?
Avec mon collègue Fredj Zamit et la réalisatrice Mabrouka Khedhir, nous avons été un certain janvier 2019 au Souk El Berka, le fameux marché de l’or. C'est un lieu d'échange de gré à gré situé dans la Médina de Tunis. Depuis le 17ᵉ siècle, peut-être même avant, l'endroit est célèbre par son ambiance animée, ses cafés du coin et sa grande variété de produits, allant des artisanats, aux textiles en passant par les épices, les bijoux et les produits traditionnels orientaux tels que la fouta, la chechia, les petites sculptures en bois ou en argent, la jebba, etc. Le souk demeure une destination populaire pour les habitants pour leurs achats quotidiens d’épices ou de pâtisseries. Quant aux visiteurs étrangers, ils cherchent des objets originaux et pourquoi pas un petit souvenir de leur passage. Le lieu est architecturalement caractérisé par ses ruelles étroites emplies de boutiques, d'étals, de restaurants faisant des plats, des mets antiques et délicieux.
Reportage réalisé par Fredj Zamit, Mabrouka Khedir et Mohamed Ali Elhaou, janvier 2019
Le marché de l’or
Au milieu des ruelles, au côté de l’ancestral Café Mrabet, le plus ancien du pays datant du 16ᵉ siècle, se trouve notre Souk El Berka tant convoité. Le souk structure la vente et l’achat de l’or. Il fonctionne sous la supervision du contrôleur du marché validant la véracité des produits vendus et achetés par des tampons que l’on retrouve sur les produits exposés dans les vitrines lumineuses des boutiques.
Se situant au cœur même de la Médina, ce souk comporte deux portails qui le protègent des actes de vandalisme la nuit. Il est désormais équipé de caméras de surveillance. En plus du fait que c’est un endroit ultra-surveillé, le marché de l'or à la Médina attire les nombreux visiteurs du monde entier par sa beauté, les lumières jaunâtres et vives qu’il dégage et son bruit de vie qui n'arrête jamais.
Dans ce lieu, on découvre donc une grande variété de bijoux ainsi que d'autres objets en or tels que des pièces de monnaie, des artefacts, des décorations, des bracelets, des colliers, des boucles d'oreilles, des alliances pour les nouveaux mariés, voire des bagues en or ou en diamant pour les femmes et les hommes. Ces bijoux sont le plus souvent ornés de motifs traditionnels et sont soigneusement fabriqués à la main par des artisans locaux, ce qui leur confère une grande valeur culturelle et esthétique. De surcroit, Souk El Berka propose des objets en or vintage, tels que des pièces de collection, des montres, des couronnes et même des objets de décoration partiellement en or.
Le pouvoir d’achat du Tunisien ne se permet plus ce luxe
De plus en plus, l’achat du métal précieux se réduit, selon les commerçants que nous avons interrogés dans ce souk, comme une peau de chagrin. Dorénavant, nos concitoyens réduisent leur achat en or vu la conjoncture économique très austère et sans précédent par laquelle passe le pays. Par conséquent, la plupart des citoyens ont la tête plongée dans le guidon afin de répondre, un tant soit peu, aux dépenses quotidiennes.
Alors, si on se fie uniquement à ce que disent les commerçants, comment ce souk résiste encore malgré la crise ? Il est fort probable, et c’est un point qui n’a pas été examiné dans le reportage, que la plupart des boutiques font toujours des ventes juteuses avec une certaine catégorie sociale relativement aisée profitant de cette crise ; dont le vent va dans le sens de leur action. Un autre élément qui ressort : les commerçants s’orientent davantage vers les visiteurs étrangers, que ce soient Arabes, Européens, Asiatiques ou autres.
D’ailleurs, l’or lui-même est un produit international. En l’occurrence, une grande partie de l'or local est importée sous forme de lingots, de pièces de monnaie ou de bijoux par le biais d'importations commerciales. Ces importations peuvent provenir de pays producteurs d'or comme l'Afrique du Sud, du Centre-Afrique, de la Suisse et du Canada, entre autres. Dans les années 80, l’or provenait principalement de la Libye, à titre d’exemple. Maintenant, c'est plus la Turquie et l'Arabie Saoudite. En réalité, la provenance de l’or dépend du contexte international et de la conjoncture, c’est donc une provenance dynamique et changeante selon les décennies.
En se contentant de cet or qui sert pour les fêtes et demeure chez les particuliers, une partie de ce métal précieux est produite localement par des artisans bijoutiers et des orfèvres, confectionnant cette matière brillante suivant les traits culturels et la mode du moment correspondante aux mœurs locales.
Cette matière est la plupart du temps mélangée avec du cuivre, parfois fabriquée sur commande suivant le désir du client et selon l’occasion fêtée. Dans une relation d’homme à femme, le bijou est traditionnellement synonyme d’engagement, de lien et d’amour. De coutume, sous nos cieux, c’est l’homme qui offre cette matière à sa bien-aimée pour lui signifier la sincérité de son amour et le sérieux de son engagement (la culture musulmane interdit à l'homme de porter de l'or). Ce comportement, signe d'affection, brave en vérité la crise matérielle par laquelle passe le pays et fait, en partie, de sorte que les marchands continuent leur exercice.
Excellent travail, cela donne envie de voyager. Merci