Toxic paradise de Sadok Trabelsi : théâtre engagé contre la pollution industrielle à Gabes
Le 12 novembre 2024 à la salle du 4ᵉ art, un public nombreux, parmi lequel des visages du paysage cinématographique, s'est déplacé afin d'assister à la pièce Toxic paradise du metteur en scène Sadok Trabelsi. Cette pièce bénéficiant du soutien du Théâtre de l'Opéra de Tunis dirigé par Jamila Chihi a donc pu participer avec fluidité à une manifestation supposée être théoriquement concurrente : les "Saisons de la création" produite sous l'égide du Théâtre national. Cette manifestation d'ailleurs prend fin demain 14 novembre 2024 après avoir durée une semaine. Il faut dire que Sadok Trabelsi a de la chance dès ses premiers pas. Il travaille, en l'occurrence, dès sa première pièce, celle-ci, avec des comédiens qui sont dans le métier depuis presque 40 ans, à l'image de l'acteur Ramzi Azaiez. Au côté de celui-ci se trouvent Meriem Ben Hassan, le talentueux Ali Ben Saied, l'élégant Micky Baligh (formidable comédien) et l'acteur très en vogue Bilel Slatnia.
La démarche de Sadok Trabelsi est de coécrire le texte dramatique avec le comédien. En ce sens, la performance arrive au fil des répétitions et en concertation avec les propositions artistiques du comédien selon la situation proposée.
Toxic paradise articule toxicités familiale et environnementale
Le lieu de la pièce est Gabes. Une ville située dans le sud tunisien. La pièce commence par montrer une famille composée d'un jeune couple vivant avec un homme âgé de 76 et malade. Ce dernier souffre d'une incompétence du col de la vessie (n'arrive plus à retenir sa pisse). Il vit avec son fils, salarié avec 750 dinars par mois, et dont la femme ne travaille pas. Le père de Yahia est donc veuf. La pièce montre la toxicité des relations : le couple ne s'aime plus, car ses rêves s'écrasent dans un quotidien asphyxiant, d'autant plus qu'il n'arrive pas à avoir un seul enfant depuis cinq ans de mariage.
Le père de Yahia se sentant seul, cherche parfois à faire l'amour avec la femme de son fils. Les amis de Yahia n'ont aucun objectif dans la vie, aucune organisation même et cherchent tout juste l'insurrection contre le capitalisme industrielle polluant.
En dehors de cette famille, la pièce Toxic paradise montre donc un capitalisme sauvage polluant ; transformant les oasis paradisiaques d'antan en un enfer sur terre où les maladies cancérigènes prolifèrent. La pièce en effet n'est pas une fiction, elle parle d'une situation environnementale catastrophique et bien réelle, entre autres, à Gabes. D'après la pièce, c'est le capitalisme d'État la cause de cet assassinat à ciel ouvert de la santé des habitants de toute la région du sud du pays, et ce, depuis plus de 40 ans.
Plus particulièrement, c'est le groupe chimique tunisien, une entreprise publique, la source de ce drame s'opérant en silence. En effet, cette entreprise, le premier employeur de la région, est elle-même, même si produisant engrais et acide phosphorique, la principale émettrice d'un gaz toxique que les gens ordinaires appellent El Bakhara (le nom de la pièce en arabe). Ce gaz polluant a fait disparaître les crevettes royales et bien d'autres fruits de mer, les poissons et a complétement défiguré certaines plantes (Les oliviers, entre autres) et les humains.
Aussi, comme c'est dit dans les répliques de l'un des comédiens, l'activité agricole devient malaisée, les grenades se dissipent alors que cette production était parmi les plus florissantes dans le pays. La famille présentée dans la pièce peut être de Ghannouch, de Chott Essalam, entre autres, où les citoyens ne cessent de consulter pour diverses pathologies.
Esthétiquement
Même si la pièce comporte des comédiens de talents, il y a parfois un excès de symbolisme et de danse théâtrale parfois lourde. L'atmosphère est très sombre. Il y aurait eu moyen de montrer ce drame, mais avec une certaine beauté. En mettant par exemple comment cette ville était jadis et comment elle est devenue. Aussi, il y a un matraquage de la musique de temps en temps dérangeant le spectateur, car il n'y a pas un jeu sur le contraste, entre autres, dans la scénographie et l'enchainement des monstrations. En d'autres termes, cette histoire dramatique peut se raconter en une heure, comme il a bien fait Sadok Trabelsi, mais avec plus de fluidité et alternant des scènes violentes avec des scènes calmes. C'est de cette façon que la performance pourrait dégager la beauté, œuvrer pour plus de sensibilité et ouvrir l'imaginaire de l'auditoire.
En outre, les comédiens auraient pu tout simplement jouer et interagir avec un mapping, par exemple, sans avoir besoin de faire des danses, d'autant plus que certains d'entre eux ne sont plus souples comme auparavant. Ne serait-il pas de surcroit judicieux d'entendre les accents de Gabes ? Aussi, il y aurait eu moyen de diversifier la lumière en la rendent plus gaie à certains passages de la représentation.
Il s'agit, en dernier lieu, de garder en tête que le théâtre est avant tout un spectacle, chose disparaissant à certain moment de cette pièce, est la clé de la rentrée de ce travail dans les annales du 4ᵉ art de notre pays; car cette œuvre recèle un véritable potentiel de réussite. Pour ce faire, il faudrait aussi dissiper le moindre doute que c'est une pièce faite sur commande ; parce que tout le monde sait que l'écologie aujourd'hui est un sujet mondialement à la mode, même si le metteur en scène dit qu'il a cette idée en tête depuis 2018. Toutefois, nul ne peut nier que Sadok Trabelsi a traité cette problématique environnementale avec intelligence ; quoique la narration demeure sombre et sans contraste. Travail de facto améliorable, certainement à voir, d'autant plus qu'il regroupe la crème des acteurs de notre temps. Cette proposition artistique peut même devenir un film, car le traitement de la pièce est bel et bien cinématographique : pensant à Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.
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