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Le grand peintre Sami Ben Ameur : "Plus j’avance dans ma démarche, plus je ressens que l’art est un voyage spirituel et intellectuel"

  • Mohamed Ali Elhaou
  • 14 oct.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 15 oct.

Actuellement et jusqu'à la fin du mois d’octobre, c’est-à-dire au 31, au Palais Keireddine à la médina de Tunis, une exposition mérite réellement la visite, à savoir "Terre spirituelle" de Sami Ben Ameur. C’est une œuvre pleine de maturité, d’expression en même temps de quiétude et de silence.


Pour la présenter, l’artisan de cette œuvre recourt à une citation de Mahatma Gandhi, un homme de paix et de la Résistance sans violence, qui dit : "Le ciel et la terre sont en nous."


L’exposition de Sami Ben Ameur est, à observer de près, à la fois une recherche d’harmonie et une dénonciation à travers certains tableaux de l’injustice du monde et du déséquilibre des rapports de force internationaux.


Peinture circulaire d'une colombe blanche s'envolant, fond bleu, vert et jaune. Détails texturés et signé "2025" en bas à droite.
Œuvre "Naissance de la paix", Sami Ben Ameur. Crédit photo : culturetunisie.com

L’arbre et le cercle sont très présents comme objets d’expression. C’est peut-être que l’humanité entière appartient à ce même arbre de départ qu’est l’esprit humain et au même cercle qu’est la Terre. Le baiser, l’amour, la paix, la méditation et la spiritualité sont au cœur des fresques de Sami Ben Ameur.


L’exposition est très pédagogique, que l’on peut situer esthétiquement comme placée dans un cadre institutionnel normé. Culturetunisie.com pour connaître davantage le contexte de ce travail artistique a posé les questions suivantes :  


MAE : Pour ceux qui ne vous connaissent pas, qui est Sami Ben Ameur ?


SBA : Je suis artiste plasticien tunisien, né en 1954 à Sfax, diplômé de l’Institut des Beaux-Arts de Tunis et docteur en Arts plastiques – théorie/pratique – de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Actuellement, je suis professeur émérite à Isbat, Université de Tunis.


Mon parcours s’est construit à travers l’expérimentation plastique et la recherche théorique, jusqu’à ce que la pratique artistique devienne pour moi un langage de vie, un chemin de méditation et de compréhension du monde, ainsi qu’un moyen d’exprimer les grandes valeurs humaines.


Plus j’avance dans ma démarche, plus je ressens que l’art est un voyage spirituel et intellectuel avant d’être une pratique technique ou professionnelle. L’écriture, pour moi, est également un moyen d’introspection conceptuelle et de préservation de la mémoire dans un monde saturé d’événements.


Je suis l’auteur d’un ouvrage encyclopédique intitulé Dictionnaire des termes des arts visuels (758 pages), lauréat du premier prix des dictionnaires à Sharjah en 2022.


J’ai également dirigé quatre volumes d’un livre d’art intitulé Les arts plastiques en Tunisie : parcours de générations et enjeux esthétiques et culturels, totalisant près de 1800 pages, dont deux volumes ont déjà été publiés par l’Université de Tunis.


Depuis 2006, je produis de nombreux programmes sur Radio Tunis Culturelle, dont le plus récent, Mémoire des arts, ذاكرة الفنون est consacré à la redécouverte des artistes tunisiens disparus.


J’ai aussi exercé les fonctions du président de l’Union des artistes plasticiens tunisiens, de directeur de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts, et de conseiller au cabinet du ministre des Affaires culturelles, chargé de la création du Musée National d’Art Moderne et Contemporain à la Cité de la Culture de Tunis.


MAE : Comment avez-vous rencontré le monde de la peinture et de l’art de manière générale ?


SBA : Cette rencontre fut précoce et spontanée. En observant mes frères dessiner, j’ai ressenti un attrait immédiat pour le dessin. Dès l’enfance, la peinture représentait pour moi un espace de calme et de découverte. Je me souviens que je cachais toujours mes dessins — sans savoir pourquoi — comme s’ils constituaient un secret intime.


À seize ans, deux enseignants de ma région, à Sfax, ont mis à disposition des boîtes de couleurs et des toiles au sein d’un comité culturel. Nous étions trois à participer à cette expérience, qui a abouti à une exposition à la Maison de la Culture de Sfax. Une de mes toiles y a été acquise, ce qui m’a profondément encouragé et conduit à poursuivre mes études à l’Institut des Beaux-Arts de Tunis, puis à la Sorbonne.


Avec le temps, les études et la recherche, l’art est devenu pour moi un champ de réflexion et d’expérimentation, une fenêtre ouverte sur les questions existentielles et spirituelles qui habitent l’être humain.


MAE : Pourquoi l'exposition "Terre spirituelle" aujourd’hui ?


SBA : "Terre spirituelle" est un cri contre l’inertie et la dégradation des valeurs humaines à tous les niveaux. C’est une invitation à retrouver le sens, dans une époque qui a perdu une grande part de son âme.


Nous vivons aujourd’hui une crise éthique et écologique mondiale à son apogée — le génocide à Gaza en est un exemple tragique. J’ai choisi ce titre parce que la Terre a perdu une grande partie de sa dimension spirituelle, ce qui appelle une restauration urgente.


Il s’agit donc d’une méditation sur la relation de l’homme à la Terre — celle qui l’accueille matériellement et spirituellement — et sur les valeurs menacées par la guerre, la haine et la rupture avec la nature.


Terre spirituelle est ainsi une tentative de renouer l’homme avec ses racines, sa mémoire et la dimension spirituelle qui lui redonne équilibre et sens dans un monde troublé.


MAE : L’expression artistique, pourquoi faire ?


SBA : L’expression artistique, pour moi, n’est ni un luxe ni une fuite du réel, mais un acte de résistance contre le non-sens. C’est un geste profondément humain, par lequel nous tentons de reformuler le monde sur les plans esthétique et spirituel.


À travers l’art, je cherche un langage au-delà du langage, un moyen de raviver la conscience et la sensibilité de l’homme contemporain. Depuis les peintures rupestres et les créations des pharaons et des Grecs, l’art a toujours exprimé l’humanité de l’homme, c'est-à-dire à la fois sa force, sa finitude et sa fragilité.


Ce que l’histoire retient, le plus souvent, ce sont les artistes, rarement les politiciens — preuve que l’art donne sens à la vie et demeure une nécessité vitale pour nos sociétés.


Deux oiseaux stylisés dorés se font face dans un jardin coloré avec des fleurs rouges. Fond abstrait bleu et rouge, signé 2025.
Les oiseaux de l'amour éternel, Sami Ben Ameur. Crédit photo : culturetunisie.com

MAE : Combien avez-vous mis de temps pour préparer l’ensemble de ces peintures ?


SBA : Le travail sur Terre spirituelle a duré environ deux ans, entre réflexion, recherche et exécution. Cependant, le temps créatif ne se mesure pas en jours : il se mesure à la profondeur de l’expérience. Chaque œuvre, en effet, est le fruit d’une accumulation de méditations, de pratiques et d’interactions avec la matière. C’est avant tout un temps intérieur, un temps de patience.


Il m’arrive de peindre en public et d’achever une grande toile en une heure à peine – mais ce que j’accomplis dans cet élan est le résultat d’années de maturation silencieuse dans l’atelier.


MAE : Quelles sont vos ambitions professionnelles en tant qu’artiste tunisien dans un premier temps et du monde de manière générale ?


SBA : Mon ambition est de rester fidèle à ma conviction que l’art est un message humain et spirituel. En tant qu’artiste tunisien, je suis fier de mon enracinement culturel, arabe, méditerranéen et africain, et je cherche à le rendre visible dans la scène artistique contemporaine mondiale.


Je ne cours pas après la célébrité, mais après l’empreinte : que mes œuvres puissent toucher la sensibilité des gens, où qu’ils soient, et éveiller en eux une étincelle de réflexion ou d’émotion. Mon art s’adresse particulièrement à l’humain.


Cela dit, la diffusion de l’artiste ne dépend pas seulement de lui-même : elle relève aussi de la responsabilité de l’État et des institutions culturelles, qui doivent soutenir et valoriser son rôle symbolique dans la société.


MAE : Le fil conducteur de votre œuvre, c’est l’évitement du conflit, c’est la paix à la fois interne et externe, l’harmonie. Est-ce possible dans le monde actuel et est-ce un bon jugement de votre travail ?


SBA : Oui, c’est une description assez fidèle, mais qui mérite une précision. L’art, pour moi, n’est pas une confrontation avec le monde, mais une tentative de le guérir.


Je crois que la paix commence à l’intérieur, et que la toile peut devenir un espace de réconciliation, de guérison et de dialogue. Le monde actuel est dur et chaotique, mais l’art demeure un espace de lumière – le dernier lieu où le rêve reste possible.


C’est, en soi, une forme de résistance contre la domination, l’injustice et la désintégration du sens.


Entretien de Sami Ben Ameur

1 commentaire

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Invité
14 oct.
Noté 5 étoiles sur 5.

Très belle interview.

Encore une fois, BRAVO le Grand Semi.

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