"Île du pardon" de Ridha Béhi : cinéma d'expression sans s'adresser à un public particulier
- Mohamed Ali Elhaou
- il y a 1 jour
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Tout d'abord, il faut dire que le metteur en scène Ridha Béhi est une fierté pour la Tunisie et c'est un artiste qui sait très bien manier l'art du cinéma à la fois sur le fond que sur la forme. Il a un talent inégalable aujourd'hui, notamment sur le plan de la narration et de l'évolution des personnages.
En effet, l'Institut français de Tunisie a programmé le film "Île du pardon" de Ridha Béhi, en présence du réalisateur le 13 octobre à 18 h. Le film dure une heure et demie et comporte de sublimes comédiens, au premier rang desquels se trouve la magnifique Sicilienne Katia Greco.
La singularité de ce film : c'est le dernière apparition de la reine du cinéma international l'actrice Claudia Cardinale. Aussi le jeu de Ali Bennour et de Mohamed Sayari est excellent dans ce long métrage. Ils crèvent en l'occurrence l'écran par leur minimalisme dans le jeu et par la profondeur de leur apparition tout au long des séquences du film.

La vraie découverte de ce film est le fils de Ridha Béhi, Badis Béhi, ainsi que son petit-fils qui jouent respectivement dans le rôle de facteur sur une bicyclette italienne et de l'enfant porteur de cette histoire, narrateur de cette fresque.
Le long métrage est tourné à Djerba dans une ambiance vintage des années 40 et 50, caractérisée par des costumes classiques et traditionnels et la présence des chapeaux bérets et Fedora, entre autres, caractéristiques de cette époque d'élégance.
Aussi, la plupart des dialogues sont en italien. D'ailleurs, cette fiction met le spectateur dans la peau d'une famille italienne résidant à Djerba depuis de longues dates et qui se trouve dans un contexte de libération qui l'amènera dans quelques années à quitter le pays, la Tunisie, à laquelle elle est fortement attachée.
Parmi les points sur lesquels le film met l'accent, c'est la tranquillité impossible de l'étranger sur notre territoire, le dogmatisme, l’autre, les souvenirs, la nostalgie, l’amour et le meurtre.

Esthétiquement, le film est dans l'univers du cinéma italien. Il est très proche de ce qu'avait fait Francis Ford Coppola. C'est un récit d'une beauté calme, contemplative et qui a le sens de chaque détail à travers lequel Ridha Béhi a essayé, à sa façon, un peu hermétique, d'explorer la diversité de l'identité tunisienne sans se soucier à qui s'adresse vraiment ce long métrage.
Le montage du film est très fluide et même magique, fruit du travail sincèrement sublime de Yassine Bouchneb au même titre que les images, les différents plans, l'histoire, l'éclairage et le décor qui plongent le spectateur dans une île de Djerba qui renoue avec la pluralité de son histoire et qui invite le spectateur à la découvrir.
Film qui est presque passé inaperçu au moment de sa sortie dans nos salles en octobre 2023, mais à l'examiner de près, c'est une œuvre de fond qui s'enseigne, notamment dans les universités, car elle est destinée à un public averti et qui peut en déchiffrer les codes et les différentes strates symboliques.
Le film montre la richesse de la vie d'une famille italienne à la fois sur le plan de l'histoire, des relations humaines et de la vie quotidienne. Parallèlement, il montre une communauté arabe vivant à Djerba dont le quotidien est uniquement fixé sur la religion et sur le refus de l'autre ou bien sur son assimilation forcée à cette époque, peut être dans la notre aussi ?
En ceci, ce long métrage est, toutes proportions gardées, une réduction de cette identité arabe et prend une perspective orientaliste, ou peu s'en faut. Le spectateur sort, au final, avec une seule question en tête : à qui s'adresse le film ?