.png){kind=logo}
"Sous pression" de Rayen Karoui : art en luttes dans l'humour, l'ironie et le clownesque
- Mohamed Ali Elhaou
- il y a 2 jours
- 4 min de lecture
Le 21 mai 2025, le public avait rendez-vous avec la pièce "Taht Edhaght", qui signifie "Sous pression", une production du Centre des arts dramatiques et scéniques du Kef. La représentation est une dramaturgie mise en scène par Rayen Karoui. Cette œuvre fait sa énième représentation à Tunis, entre autres, à l'occasion de la 5ᵉ édition du festival Semaine du Théâtre Municipal se déroulant entre le 20 et le 24 mai 2025.
L'intrigue de la pièce "Sous pression" tourne autour d'un metteur en scène qui tente de convaincre un groupe de comédiens amateurs de présenter une œuvre théâtrale à forte résonance politique. Cependant, cette troupe ne tarde pas à se trouver face à une confrontation inattendue avec les autorités policières surtout, ce qui transforme la représentation en un conflit dont le nœud est composé de la liberté d'expression et de la censure.
La pièce de théâtre "Sous pression" rend donc compte d'une sphère artistique locale pleine de contradictions à travers laquelle l'artiste, à chaque pas de sa carrière, "marche sur des œufs". En ce sens, cette œuvre a su traiter avec une grande subtilité et une immense finesse les péripéties auxquelles est confronté le professionnel du 4ᵉ art.
Esthétique réflexive
"Sous pression" adopte, en l'occurrence, l'approche esthétique du théâtre réflexif, qui se pense en se faisant et qui produit de l'ironie, de la satire, dans les actes et les situations. La pièce appréhende donc le travail artistique et son financement, sa propension à la liberté d'expression en plaçant le "bouffon épique" au cœur d'une réalité absurde et ubuesque. Il s'agit donc de dépeindre au spectateur une représentation, une réalité de l'artiste qui le fait rire, même si ce dernier souffre au plus profond de lui-même.
La représentation vient comme une dédicace au théâtre tunisien qui lutte malgré le peu de moyens dont il dispose. Durant une heure et demie dans le magnifique lieu qu'est le Théâtre Municipal, les protagonistes de l’œuvre "Sous pression" ont bel et bien réussi à transformer la douleur par laquelle passe l'artiste en espoir.
Comédiens chevronnés
Dans cette pièce jouent tour à tour Mounir Khazri, Khairat Med Tahar, Abderrahmen Chikhaoui, Firdaws Jebali et Maher Touati. En effet, les comédiens sur scène ont donné leurs cœurs et leurs rêves sur scène.
Ils ont bien montré la pression que subissent leurs personnages dans la création de leur produit artistique, que ce soit de la part de l'univers de compétition dans lequel ils se sont lancés ou bien de la part des horizons étroits que leur offrent les tabous de la société ou encore les interdits politiques.
L’œuvre, à noter, n'est pas une autobiographie, mais plutôt un désir d'aborder les problématiques du monde du théâtre dit "sérieux" qui est menacé de disparition. Le metteur en scène résout cette question en abordant ce sujet de manière parodique, caricaturale, en utilisant l'ironie, la réflexivité et l'humour pour transmettre les idées et les stratégies que les comédiens mettent en place pour mettre des mots sur leur existence, mais aussi sur leur créativité face aux différents types de domination.
En ce sens, Mokhtar, un des personnages de la pièce, décide de faire passer ses idées par le biais du clown. Celui-ci, dans la société, est une figure, jamais prise au sérieux. À travers des personnages marginaux et clownesques, Rayen Karoui a voulu, de fait, dire que le théâtre ne meurt jamais tant qu'il y a des créateurs qui y croient et lui sont fidèles de tout leur cœur et de toutes leurs forces, car c'est un art dont l'une des ambitions est de transformer la douleur sociale en représentation, voire en comédie.
Art en luttes
L'art représenté et performé dans la pièce "Sous pression" transforme la rage en soupir. En ce sens, "Sous pression" montre que la créativité ne doit jamais être prise à la légère et qu'elle naît la plupart du temps du ventre des défis, de la mélancolie et des pressions.
Petit extrait de la pièce ©culturetunisie.com
Cette pièce met donc en relief comment les moments d'étouffement se transforment en épisodes de lutte que mène l'artiste de façon universelle dans chaque type de société. Car l'artiste est censé porter un art qui doit déranger par essence, déstabiliser et surtout laisser une empreinte chez le spectateur pour qu'il soit "meilleur" avec une conscience sensible notamment sans jugement de ce que font les autres en société.
Ainsi, avec un ton très humoristique, c'est la lutte du théâtre qui est mise en illustration. Le maquillage des personnages, leurs choix et leurs costumes plongent le spectateur dans le style "bouffon épique", comme c'est exprimé dans la pièce.
Le théâtre : pourquoi faire ? Le théâtre est-il rentable ? Rapporte-t-il un revenu respectable ? Attire-t-il le public ? Toi, artiste, tu travailles du matin au soir ou bien à ta guise ? Ce sont quelques-unes des questions, tirées du réel, qui explosent devant la figure du public, venu nombreux pour assister à cette admirable "Sous pression" du metteur en scène Rayen Karoui.
Ces interrogations, valables également pour le monde du journalisme, surtout celui de la presse écrite, viennent sur les lèvres des héros comiques de ce théâtre à la Molière qui fait à la fois rire et réfléchir. En évoquant Molière, la pensée va surtout vers sa pièce Le Tartuffe. Pièce "Sous pression" à voir absolument, car elle est très bien faite, belle, une des meilleures productions de cette année et ne contenant pas des excès que ce soit dans les propos ou encore dans le jeu.
C'est une pièce qui traite avec légèreté des problématiques épineuses du monde artistique dans notre pays.