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La rédaction de l'atelier culturel

« Mute » de Sulayman Al Bassam: parole d'artiste vs silence assourdissant de l'opinion publique

Il est 17 h 57, le 4 août, 2020. Dans les dix minutes qui suivent, à 18 h 07 précises, tous les personnages de l’histoire « Mute » (Muette) et 220 personnes réelles sont morts. Six mille autres seront blessés et 300 000 personnes se retrouveront sans abri. Le 4 août 2020, 18 h 07 min, entre 400 et 600 tonnes de nitrate d’ammonium ont explosé dans le port de Beyrouth, provoquant des dégâts humains et matériels considérables.



Une explosion reflétant et résultant de la corruption, des crises économiques, d’une série de violences perpétrée à l’encontre du citoyen arabe, de la société et de l’environnement. Partant d’une catastrophe causée, « Mute » de Sulayman Al Bassam présentée, lundi 4 décembre 2023, dans le cadre de la compétition officielle de la 24ᵉ édition des Journées Théâtrales de Carthage (JTC), dans la salle 4ᵉ art, suscite l'intérêt du public par sa forme et son contenu.


Le public en immersion


Dès le début, le public est impliqué dans la pièce en suivant les préparatifs de l’équipe sur scène dont le metteur en scène s’adressant aux « spect-acteurs » pour présenter d’une manière didactique sa pièce, son sujet et ses interprètes. La pièce se propose comme des questionnements d’une artiste, Hala Omran, adressées à soi-même autour du rôle et de la nécessité du théâtre militant face à une catastrophe qui détruit par sa violence et par l’ampleur de ses dégâts l’essence même du langage comme outil au service de la réalité vécue.


Œuvre à plusieurs niveaux d'interprétation


Œuvre inclassable, mélange entre les genres : prouesse vocale, chant, danse accompagnés par une musique live signée Abed Kobeissy et Ali Hout. « Mute » dérange par le « bombardement » du texte interprété d’une manière magistrale par Hala Omran. Cette pièce est rythmée par une musique collant à l’émotion, la gestuelle et les mots de l’artiste. Tantôt chanteuse, tantôt actrice, tantôt amoureuse, tantôt militante, tantôt indifférente, Hala Omran embarque le public dans sa quête existentielle : quel est le rôle de l’artiste militant dans la société de consommation ? Quel impact peut avoir l’artiste dans une société où l’argent, le paraître et l’image ont pris d’assaut la conscience des peuples ? Des interrogations qu'elle pose à son Moi silencieux. Face au drame qui arrive, le public applaudit encore et chante quand l’artiste le demande, mais le plus souvent reste abasourdi à la vision de la mise en récit des dégâts produits par la catastrophe.



Mise en conscience du public à dessein


Durant 60 minutes, le monologue-dialogue relate les 10 minutes de la vie d’une artiste et ses musiciens avant l’exposition. Le rythme long des aiguilles de l’horloge fixée en haut de la scène contraste avec la parole effrénée de l’artiste entrecoupée par les explications. La scénographie se prête à un documentaire dans lequel la parole experte est roi : le discours d'un expert en explosif tout d'abord et celui d'un expert stratégique, ancien militaire libanais, par la suite. Le spectacle vivant est principalement musical et harmonieux. Il contient une écriture polyphonique à la fois violente, poétique, déconcertante par le biais de laquelle Sulayman Al Bassam questionne le silence du moi et du nous face à l'atrocité. La seule issue qui demeure pour secouer le silence sont les mots d’une artiste révoltée jusqu’à la « fatigue » chantant l’amour, la vie jusqu’à la mort, espérant que ses cris interpellent la conscience de l'opinion publique nationale, mais aussi mondiale. Celle-ci est collée à l'ici et maintenant et semble amnésique et désarmée face à la prolifération du mal.


Bureau de Presse JTC

©Décembre 2023

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