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  • Mohamed Ali Elhaou

Le numérique et le théâtre : une relation ambivalente, selon Basma Ferchichi et Ridha Boukadida


Le club de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique (ISAD), Dreamers, avait organisé le 6 mars 2024 une rencontre exceptionnelle avec l’enseignante-chercheure en sciences culturelles Basma Ferchichi et le metteur en scène Ridha Boukadida. Celle-ci avait fait une intervention intitulée « Le théâtre à l’ère numérique ». Devant des étudiants et des enseignants assoiffés de savoir sur cette problématique, la chercheure Basma Ferchichi avait inscrit son étude sur la longue durée. Elle a montré que le théâtre est un art bénéficiant toujours des artefacts et que c’est un travail créateur interagissant en permanence avec les innovations technologiques.


Basma Ferchichi et Ridha Boukadida, ISAD, le 6 mars 2024


En ce sens, durant la révolution industrielle du 19ᵉ siècle, le théâtre a pu bénéficier de l’innovation de l’électricité et par la suite du gaz. Ces dispositifs ont permis un progrès technique au niveau de l’éclairage de la scène et aussi ont favorisé plus de marge de manœuvre dans l’élaboration du spectacle ainsi que dans l’extension du jeu de l’acteur. Il importe de signaler que le théâtre jadis se produisait avec des bougies avant l’ère de l’électricité et du gaz. Avant les bougies, le spectacle se déroulait en effet le matin sous la lumière du soleil et dans l’espace de la cité. D'ailleurs, avec l’électricité, la boite italienne du spectacle vivant devient la manière la plus dominante de représentation. Dès lors, les performances artistiques se donnent depuis le 19ᵉ siècle dans une salle fermée.  


Selon la conférencière, à partir de 1950, le théâtre est confronté dans son essence à ce qu’elle qualifie comme « révolution numérique », laquelle avait commencé avec l’informatique ; lequel a introduit une technicité analogique au niveau de la mise en scène. Peu à peu, notamment au tout début du 21ᵉ siècle, le numérique devient omniprésent et recale progressivement l’analogique en introduisant des modifications profondes dans l’art de la scénographie et en offrant de nouvelles palettes en matière de décoration, de découpage dramaturgique, de la musique et au niveau de la lumière dans la représentation théâtrale. Dans l’action théâtrale, le numérique est ainsi un outil au service de la performance vivante.


Le numérique, un sujet théâtral


Basma Ferchichi a mentionné que dans la pièce de théâtre Oncle Vania, Anton Tchekhov avait abordé en 1897 les dangers de la technologisation. En l'occurrence, elle note : "dans cette pièce, le personnage du médecin Astrov mène un combat – perdu d’avance – pour préserver la biodiversité en soulevant les problèmes environnementaux liés à l’écologie et dus au progrès technologique (la déforestation massive, la pollution de l’air, de l’eau et du sol, etc), qui entraînent de graves conséquences sur les milieux naturels, voire sur l’humanité toute entière. Ce qui fait de Tchekhov un écologiste avant l’heure". De ce fait, sur le plan conceptuel, le numérique n’apporte pas grand-chose à l’intrigue théâtrale et à l’art : avant-gardiste de facto. Aussi, Ferchichi est revenue sur la pièce de théâtre Rossum's Universal Robots. C’est une performance de science-fiction. Elle a été imaginée et écrite en 1920 par Karel Čapek. Un metteur en scène de Tchécoslovaquie. L’œuvre a été représentée pour la première fois à Prague en 1921. Ensuite, elle a commencé sa tournée dans le monde occidentale, notamment à New York en 1922. Dans cette pièce, Karel Čapek, utilisa selon Basma Ferchichi le mot robot pour la première fois pour alerter ses spectateurs à l’avènement du monde de la machine et plus particulièrement dans sa version numérique dite intelligente.


Le théâtre ne peut pas être médiatique  


Ridha Boukadida au même titre que Basma Ferchichi ont mis l’accent sur le fait que l’action théâtrale est une action vivante, délimitée par un espace/temps précis, communicative, de l’ici et du maintenant devant un public en interaction avec le spectacle ; par conséquent, elle ne saurait passer par un médium technologique, voire numérique. Car c’est un art fondé sur l’instant présent, sur le partage, sur le corps humain vivant, sur l’effort de l’acteur. Donc, il ne peut pas être oblitéré par les médias. Selon les deux conférenciers, par rapport à la médiatisation rampante de toutes les actions et activités humaines, le théâtre demeure l’un des derniers milieux, cénacles, qui résiste à cette « menace numérique ». Celle-ci est bel et bien présente dans la mesure où il y a une tentative de mise en solitude du spectateur avec ce dispositif technique numérique.


Sur un autre volet, le numérique demeure une opportunité


Le numérique selon les deux conférenciers est une injonction des temps modernes, notamment pour l’archivage de l’action théâtrale, pour la mémoire collective ou dans le cadre d’une campagne de communication visant à faire connaitre les événements culturels et artistiques. Aussi, le numérique, selon le discours des deux conférenciers, est bel et bien un moyen d’ouverture supplémentaire sur la mondialisation et sur la communauté artistique internationale. En même temps, le numérique doit toujours susciter la vigilance, car il y a souvent le risque de formatage du théâtre, que ce soit par l’exigence d’une durée standard de l’œuvre ou encore par la publicisation de certaines œuvres aux dépens des autres ; quand elles répondent à cette injonction numérique souvent liée au marketing de l’attention.


Au final, une question demeure cardinale et suspendue, à la lisière de la question du numérique : est-ce que le théâtre est une activité rationnelle ou une activité émotionnelle ? Le sens donné par les deux conférenciers va dans la perspective d’un art rationnel véhiculant une émotion objectivée s’exprimant dans l’espace public esthétique. Affaire à suivre et bon courage au club Dreamers qui nous offre des occasions de réflexions pertinentes !


 

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