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  • Mohamed Ali Elhaou

Ridha Chemek et Nasseer Shamma pour ne pas mourir de la vérité


Au milieu des festivités du mois de ramadan, dans lesquels nos compatriotes vivent surtout la nuit au rythme, entre autres, des prières, des soirées musicales ou devant la télévision, pour certains, jusqu’à une heure tardive la nuit, il y a deux concerts marquants ; ayant attiré notre attention lors de la 3ᵉ édition du festival international de l'Oud organisé par le comité du club Tahar Haddad et en coopération avec la cité de la culture, à savoir le concert du rarissime Ridha Chemek le 23 mars 2024 et le spectacle du fameux interprète de l'Oud Nasseer Shamma dimanche 24 mars 2024.


Ridha Chemek artiste militant


Ridha Chemek est un compositeur de l'Oud, né le 21 mai 1966 à Chebba une ville côtière du sahel tunisien située à une soixantaine de kilomètres au nord de Sfax. Il est plutôt connu par les paires et très peu du grand public. C'est un enseignant à l'Institut Supérieur de Musique de Tunis. Il a participé en outre dans les années 90 dans le cadre du festival de la chanson dans lequel il a gagné plusieurs prix. Récemment, lors de la 22ᵉ édition de ce même festival, il a interprété avec brio la chanson Takabr, inspirée des poèmes de Mahmoud Darouich. Dans sa carrière, il a composé, entre autres, une chanson pour la talentueuse Asma Ben Ahmed.



Le  23 mars, dans la salle de Théâtre des régions à la cité de la culture, il a interprété cinq pièces de ses œuvres ; lesquelles sont des essais dans les maqams arabes. Les œuvres de Chemek écoutées lors de son concert ne portent pas de titre. En dehors de ces cinq pièces, il y en a une qui s'intitule Samidoun. Chanson que Ridha Chemek dédie à la souffrance du peuple palestinien.


Concert de Ridha Chemek, le 23 mars 2024 à la cité de la culture


La façon de jouer de l'Oud de Ridha Chemek est très sensible. Sur le plan de la forme, il y a une fusion entre les mouvements du corps du soliste avec les sons du luth. Parfois Chemek fait glisser ses doigts sur les cordes de l'instrument comme s'il voulait déranger sciemment l’auditeur. Pour lui, certes, cet instrument est doux, mais en même temps, il peut être très perturbateur et sortir donc des normes conventionnelles du jeu ; en forçant un peu l'analyse les notes provoquées par le joueur peuvent signifier la déviance des identités arabo-musulmanes face à une mondialisation apportant des valeurs le plus souvent en tension avec cette culture. En cela, Chemek exprime, par ses morceaux, une adaptation culturelle et artistique qui s’opère le plus souvent dans la douleur.


Ridha Chemek sur scène le 23 mars 2024


D'ailleurs, la plupart des pièces musicales de Chemek sont à classer dans le répertoire de la musique de chambre. Dans la soirée du samedi 23 mars, Chemek a été un soliste jouant des mélodies rentrant dans les modes tels que Kordi ou Mhayar Sika. Aussi, il a joué un morceau que les spécialistes de la musique appellent Lounga pour signifier que c’est un long morceau instrumental.


Le festival de l'Oud nous a permis de découvrir en effet la maturité du talent de Ridha Chemek qui travaille depuis plus de 40 ans sur une musique de l'Oud savante et expérimentale. Ses mélodies rendent compte, en partie, des tapages des identités arabes au fil des déceptions et des guerres, à commencer par celle de 1948 appelée Nakba. Dans cette perspective, le concert de Nasseer Shamma était dans le même registre. En revanche, avec une musique plus accessible au grand public qui a fait, à vrai dire, la notoriété de cet interprète irakien, enseignant dans notre pays entre 1993 et 1998.


Nasseer Shamma, l’éternel retour au pays du jasmin


Dans la foulée du concert de Chemek, les fans de Nasseer Shamma ont été nombreux pour accueillir sur scène l'interprète international de l'Oud dimanche 24 mars 2024. Shamma est connu à l’échelle mondiale comme un jazzman de l'Oud. Il s’est produit dans plusieurs pays du monde et a créé des centres de formation de cet instrument dans de nombreux pays. Lors de son concert à Tunis, Nasseer Shemma a joué respectivement le morceau Bidayet, Noukouch, Sirt El Hob, Kitaf, Okma (dans un format que le compositeur appelle Hilal : mélange de rapidité et lenteur du jeu de l'Oud), Amiriya (morceau joué à la demande insistante du public), après un medley proposé à l’auditoire creusant dans l’identité arabe à travers les chansons de Fairouz, Sabeh Fakri, Nabiha Karaouili, Om Khaltoum, etc.


Nasseer Shamma avec la troupe de musiciens de la télévision le 24 mars 2024 à la salle de théâtre des régions à la cité de la culture


Son but est de valoriser donc cet instrument de musique arabe dont la première apparition date de 2350 avant notre ère dans la civilisation de Babel. Au départ, ce fut un instrument religieux, par la suite, il va devenir un instrument artistique et un fidèle compagnon du chant et de la poésie orientale. C’est aussi un instrument auquel ont réfléchi plusieurs grands scientifiques tels que Kindi, Farabi, Armaoui, Ibn Sina. Ces scientifiques arabes anciens étaient en pleine activité à la première université mondiale scientifique, à savoir l'université al-Mustansiriyah. En ce sens, l'Oud a pris son essor dans un milieu scientifique à l’une des universités les plus anciennes du monde, fondée en 1233. Cet instrument s’est internationalisé de surcroit à partir de Bagdad, prenant comme point de départ la rive gauche du Tigre. Tout le travail de Nasseer Shemma se veut être dans la continuité de la consolidation de l’identité arabo-musulmane par la musique.




Pour lui, l'Oud est un outil de recherche pour lever le voile sur cette civilisation riche en nuances et en mélanges. De ce fait, l'Oud, selon Nasseer Shemma va avec l’expansion des sciences arabes, notamment en Espagne et en Europe. De ce fait, la musique est un pilier essentiel de la science, du savoir de manière générale et de la sensibilité humaine : comme un mode d'expression dans l’espace public local et international.


Selon Nasseer Shemma, l'Oud est un instrument résistant donc au temps et porte toujours l’espoir malgré les péripéties, les luttes et les injustices que peut produire le monde dans lequel nous vivons. Sa force : c’est un instrument unique que nous ne pouvons pas retrouver tel qu’il est en Asie, en Afrique ou en Europe. Dans cette dernière, cet instrument s’est éteint avec l’européanisation de l’Espagne à partir de 1492.


Dans le concert de dimanche 24 mars, Nasseer Shemma a été accompagnée par un trio de musiciens tunisiens professionnels à savoir Lassaad Lathari joueur du tar, et membre du groupe de musiciens de la télévision, Mounir Koubaa, joueur de la darbouka aussi membre de la troupe de la télévision tunisienne et Kader Hadj Kacem joueur sur plusieurs instruments, à savoir le bendir turque, la batterie, le Cajón, et des instruments aux effets d’ambiance comme les cymbales et les cloches musicales donnant des sons forestiers.


Au final, le concert de Ridha Chemek et Nasseer Shemma ont invité leur public à se culturaliser davantage avec la musique savante. Les deux interprètes et compositeurs pensent que celle-ci a encore de beaux jours devant elle ; même si la tendance va vers la consommation facile de cet art. Que ces deux concerts se terminent sur une note optimiste, cela ne peut être que source de vigueur à un peuple arabe toujours en dépression, emprisonné et en recherche de soi ; c'est une façon de dire que l'art demeure le dernier rempart pour ne pas mourir de vérité !


* Titre inspiré de la citation de Nietzsche : l'art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité.

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