"Asfour Jenna" de Mourad Ben Cheikh : Tunisienne en désir d'Italie
Le 2 octobre 2024 à l'espace Le Rio à Tunis, le Cinéclub avait organisé une projection-débat autour du film "Asfour Jenna" du réalisateur Mourad Ben Cheikh, son premier long métrage. Le film traite de cette envie d'Occident proliférant chez nos compatriotes hommes et de plus en plus chez les femmes. Sa singularité est qu'il met en héroïne une Tunisienne désireuse de quitter un environnement social ne lui offrant plus satisfaction et avenir. Elle trouve donc en Italie le moyen de donner sens et perspective à sa vie. Elle réussit ainsi à rejoindre l'autre rive de la Méditerranée, toutefois sans objectif clair.
Amal Manai découverte de ce film
La vraie découverte de cette fiction-réaliste est Amal Manai. À la base, celle-ci est toujours assistante de réalisation, son vrai métier. Mourad Ben Cheikh lui offre l'occasion d'exprimer son talent en jouant le rôle de Betty. Son personnage veut changer sa vie, sortir de la monotonie culturelle qu'il connait. Il trouve dans Amadeus, un antiquaire à Lecce, joué par le formidable acteur Nicolla Nocella, le refuge d'une culture l'emprisonnant et dans laquelle il ne peut plus respirer. En effet, Betty est sans papiers en Italie, du coup la police l'empresse à revenir dans son pays d'origine. À un moment difficile de sa vie, elle trouve Amadeus, un Italien. Ce dernier va devenir son amour puisqu'il la soutient au moment où son rêve allait se briser.
Séparation pour une retrouvaille
Un lien se tisse donc entre les deux personnages. Mais, c'est l'administration et les règles dans chaque pays les séparent. Betty, de son vrai nom Badra, va ainsi revenir à son pays d'origine pour régulariser sa situation, Amadeus vient à sa rencontre : cette fois en découvrant sa famille, ses frères, son oncle, ses voisines et tout l'environnement proche. Il sera confronté aux règles et coutumes de notre pays, en même temps, aux réticences de sa mère ; ne voulant pas qu'il épouse une Arabe. Le film montre qu'Amadeus ne comprendra pas du tout notre culture, surtout qu'on lui demandera de faire la circoncision à cinquante ans, lui ne sachant même pas ce que sait. Autre exemple, il ne comprendra pas comment il ne peut pas embrasser sa chérie dans la rue, chose très ordinaire en Europe.
Fiction miroitant les impasses de notre culture
La fiction, la première de Mourad Ben Cheikh, miroite à travers les yeux d'un Italien l'enfermement qu'exerce la tradition sur les personnages. Elle met en relief leurs tiraillements entre la volonté de se plier aux injonctions de la tradition et la complexité de la modernité. Cette dernière oblige parfois à se débarrasser de ses principes, l'image de l'Imam joué brillamment par Jamel Madani, prenant de l'argent pour faire des fatwas et à suivre donc son propre intérêt.
En effet, derrière le prétexte de la comédie et des religions se profile le parcours difficile des personnages dans un monde de plus en plus rédhibitoire, c'est-à-dire excluant à la moindre erreur. Esthétiquement, le film emprunte une manière italienne de tournage à la Fellini à la fois réaliste et familière. L'environnement des plans filmés rappelle le cinéma ancien, particulièrement des années 80 et 90. Les tournants narratifs sont bien faits et une attention particulière a été accordée au rythme des séquences et des plans. Les personnages sont duels, hésitants et bourrés de contradictions. Film méditerranéen par excellence porté pour le dialogue des cultures, actuellement dans les salles, entre autres, au Rio. Sa leçon : le rire incitant à la réflexion est la solution à tout.
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