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Mohamed Ali Elhaou

Moez Achouri explore le théâtre rituel dans sa pièce "Le jardin des amants"

Le public s'est déplacé en grand nombre le soir du 11 novembre 2024 à la salle du 4e art à Tunis pour assister à une pièce originale à savoir "Le jardin des amants روضة العشاق" dans le cadre de la deuxième édition des "Saisons de la création" organisée par le Théâtre national tunisien. Dans cette performance de groupe, les amants sont dans la pièce le dispositif carcéral d'une part et un groupe religieux en quête de vérité absolue excluant toute nuance, d'autre part. Le jardin au fil de l'évolution de la pièce devient une prison et un lieu d'enfermement. Dans cette représentation théâtrale jouent avec brio respectivement : Skander Henteti, Sabri Rejeb, Maamoun Ben Ali, Boubaker Ghaney, Abdesslem Jamal, Chiheb Chebil, Rayen Rahmouni, Abdelhamid Ben Farh, Khouloud Elmouna, Hayfa Boulakbech et Mohamed Safina.


Le public s'est déplacé en grand nombre le soir du 11 novembre 2024 à la salle du 4e art à Tunis pour assister à une pièce originale à savoir "Le jardin des amants روضة العشاق" dans le cadre de la deuxième édition des "Saisons de la création" organisée par le Théâtre national tunisien. Dans cette performance de groupe, les amants sont dans la pièce le dispositif carcéral d'une part et un groupe religieux en quête de vérité absolue excluant toute nuance, d'autre part. Le jardin au fil de l'évolution de la pièce devient une prison et un lieu d'enfermement.
Confrontation entre le spirituel et le coercitif dans la pièce de Moez Achouri, "Le jardin des amants" @Mohamed Ali Elhaou

La pièce en substance met en jeu la dialectique entre le régime séculier, laïque et la quête de spiritualité que l'on retrouve surtout chez le peuple oriental tel qu'en Iran, au Maghreb et au Pakistan. En l'occurrence, la pièce est en réalité un procès fait à Al-Murid Al-Habib Bin Yazid qui veut changer le caractère séculier de la société dans laquelle il se trouve. En ce sens, les accusations qui lui sont faites visent à le faire taire et sapent sa liberté d'expression ainsi que celles de ses suiveurs. Les autorités ont peur de son mode de vie alors qu'Habib, en tant que mouride, veut juste atteindre la paix de l'âme et la paix intérieure et spirituelle.


Chorégraphies spirituelles


Le texte de la pièce est la mise en scène sont de Moez Achouri. C'est en effet un projet qu'il porte avec lui depuis 2019. Cette performance mobilise une dizaine d'excellents comédiens. Ce qui attire l'attention est la beauté des tableaux chorégraphiques présentés et le choix judicieux du casting des comédiens. Ces derniers ont apporté une grande poésie au spectacle, mobilisant ce qu'il y a de mieux dans l'art arabe. De ce fait, il y a une grande harmonie entre le rythme et les mots. Il est à noter également l'ampleur de la maîtrise des acteurs sur scène des principes fondamentaux de la prononciation de phrases arabes éloquentes et profondes. En ce sens, leur récital étonne par son harmonie et sa beauté au point de paraitre érotique à certain moment. Ces phrases se présentent sous la forme de poèmes rythmés et signés, de poèmes rimés mettant en avant la beauté et la richesse de la civilisation musulmane et son apport à l'humanité.


Atteindre la communion avec Dieu


L'univers de cette représentation est basé sur l'évocation du chemin soufi pour atteindre la communion avec Dieu non par la connaissance, mais bien plus par l'expérience personnelle, intime et surtout la méditation et les psalmodies El Dhikr. De ce fait, dans cette représentation, il n'y a pas vraiment d'intrigue, il s'agit bel et bien d'un théâtral rituel puisant dans l'art islamique. En ce sens, les spectateurs ont été plongés, très vite, dans un univers mystique dont la monnaie est la transe couplée à des danses théâtrales et des corps moyennement musclés et beaux ; deux heures durant.



Théâtre rituel obstrué par la répression


Dans cette performance, Moez Achouri montre que le théâtre rituel ne repose pas sur la construction d'une intrigue ou d'un personnage principal : protagoniste. C'est, en effet, un art représentant un rituel, une ambiance, une façon de faire, une atmosphère mystique, une adoration du divin, une vénération de la mort et du sacré. Achouri invite donc à un spectacle constituant un hymne au gestuel, à la réduction de la parole, à la libération du mouvement, au changement de rythme, à l'expression corporelle, aux sons, aux gémissements, aux chants et à la parole décousue. D'ailleurs, le temps de ce spectacle est l'année 2026, la pièce prédit donc que la répression envers la quête de la spiritualité sera plus grande dans un régime préoccupé uniquement par le matériel, excluant toute idéelité (du mot idéel).


L'autre n'est pas l'enfer, mais plutôt, c'est le moi


Contrairement à la citation sartrienne où l'autre c'est un ennemi dans la construction des sociétés et des nations, la pièce met plutôt l'accent sur la nécessité d'outrepasser les masques. Ceux-ci que chaque acteur social porte tous les jours pour mener son quotidien. L'individu doit donc dépasser l'artifice, le masque, l'apparence pour aller vers l'essence. En ce sens, le mysticisme soufi insiste sur le fait que le vrai visage, la vraie expression, est commandée par Dieu. En ce sens, l'expression faciale devient une propriété divine que tout un chacun peut retrouver en cherchant en soi et en aimant l'autre. D'ailleurs, le but des soufis, comme c'est montré dans la pièce, était de réaliser la vérité en elle-même et de révéler la vérité cachée, par ascèse collective et le voyage spirituel pour se libérer du corps vers Dieu, c'est-à-dire vers la lumière absolue.


Scénographie du spectacle


Hormis quelques scènes de punition et d'incarcération, le spectacle plonge l'auditoire dans le rythme des mots et des couleurs. Dès le départ, dès l'entrée, les spectateurs rentrent directement dans cet univers puisqu'ils trouvent les performers devant eux. La blancheur des vêtements, le glouglou de l'eau, les scènes de lavage, les hymnes d'épuration, la musique de la mise à nu et la véritable nudité de l'âme. C'est pourquoi les mots : voyage, fin et destination se réfèrent au chemin du cœur. Ces mots s'insèrent dans une quête spirituelle dans laquelle les maitres-mots sont : la contemplation, l'unification et la transcendance dans la réalisation de la vérité. Cette quête spirituelle que la pièce montre est ainsi un appel à la purification de l'âme. Cette incitation à la propreté spirituelle vient, sans nul doute, à un moment où il n'y a plus de délicatesse envers l'autre dans nos sociétés de plus en plus matérialistes, mercantilistes et agressives.


La pièce "Jardin des amants" prend un chemin de traverse par rapport au théâtre occidental. Elle recèle un travail religieux et profond sur la vocalisation, le mouvement et le rythme, des voiles pour la transportation de l'âme vers les mondes profonds soufis. Les sons de l'eau coulant et les gazouillis des oiseaux accompagnent tout bonnement les mouvements corporels. Ces derniers sont ordonnés par la vérité et la nature.


Poésie arabe du corps


Le spectacle met en scène, en outre, une poésie arabe du corps. Ce corps servant de tremplin à la pureté originelle. Autrement dit, ce corps est un masque ne permettant pas d'atteindre la vérité selon le mysticisme soufi tel que vu dans la pièce de Achouri. De ce fait, esthétiquement, l'œuvre reprend à son propre compte les pratiques et les gestuels esthétiques, les lumières et les costumes des confréries soufies existantes et pratiquées dans la Issawiya de Sidi Bousaid, la confrérie Shadhiliya à Sidi Belhassen et à Sidi Ibrahim Raihi et la confrérie Qassimiya dans le sud.


Dans cette perspective, Moez Achouri rejoint en partie ce qui a été fait par Fadhel Jaziri ou plus récemment Sami Lajmi et Taher Issa Ben Larbi. D'ailleurs, les danses chorégraphiques n'ont pas été projetées, mais harmonisées avec l'histoire des pratiques soufies, une lumière horizontale aidant. Ces pratiques dans le spectacle sont mises en avant comme des peintures scénographiques où une action symbolique est en alchimie avec l'audible et le visible. Pièce, en dernier lieu, à voir, avec patience, car elle creuse dans la possibilité d'un théâtre indigène dont on a peu l'habitude.







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