Les sujets psychologiques toujours à la mode à travers la pièce "Sans titre" de Marwa Manai
Le 7 novembre 2024, au siège du Théâtre National de Halfaouine à Tunis, le public avait rendez-vous vers 17 h 30 avec la pièce "Sans Titre" dans le cadre de la deuxième édition intitulée "Les saisons de la création" du 7 au 14 novembre 2024. Cette pièce se produit en effet très rarement sous nos cieux. Durant une heure et cinq minutes, la performance est une monstration de la souffrance féminine sous la musique de Riadh Bedoui, mais le plus souvent dans un silence sacré. Elle raconte la solitude et ses implications en matière de déséquilibre social et émotionnel. Il importe de noter que notre théâtre est très preneur des œuvres traitant des problèmes psychiques depuis Junun de Fadhel Jaibi en 2001, Al Majnoun de Taoufik Jebali, à la même année. En ce sens, le spectateur est mis devant la souffrance individuelle, ses déchirements et ses impasses.
À propos de cette pièce
Le texte de la pièce "Sans titre" est basé sur la reconstitution d'une histoire vraie, celle de Sarah Jerbi. Celle-ci avait résidé par intermittence dans le Centre hospitalier Sainte-Anne à Paris. En effet, le texte est donc fondé sur son journal intime. Sarah, jouée avec toute son énergie par Nedia Belhaj au point de pleurer vers la fin du spectacle, est le personnage central de la pièce. Sarah se repli sur soi, ne trouve plus son équilibre, elle qui aime enseigner l'anglais. Elle a 28 ans et, désormais, elle a peur de la société dans laquelle elle se trouve. Elle mène une vie recluse. Elle n'arrive plus à se regarder dans le miroir tellement elle ne s'accepte plus. Elle est de fait enfermée entre son lit et la cuisine.
Elle veut réécrire son passé, échapper à ses traumas. Cette vie qu'elle mène à l'heure actuelle ne lui apporte que des souvenirs de douleurs, de traumas et de souffrances. Elle veut être ordinaire : avoir un chien, faire des tatouages et voyager. C'est de cette façon qu'elle exprime son rêve. La pièce, en substance, aborde le malaise dans la modernité. Elle traite, en l'occurrence, de la solitude imposée par le rythme effréné du quotidien.
Ceci engendre un individu dépressif, lunatique et perturbé. Un individu parlant beaucoup et ne laissant pas de place à l'interaction. Il croît tout prévoir et tout savoir alors qu'il se trouve en extrême difficulté. De là, la performance présentée met en lumière l'inefficacité des traitements par les médicaments, le nécessaire besoin de l'autre ; même si ce dernier peut être un cauchemar pour l'égo. La pièce met en lumière la défaillance de psychothérapie. La personne incarnant cette discipline, jouée par Lobna Mlika, à maintes fois une relation instrumentale avec son patient. Ainsi, comme le montre bien la pièce, ce personnel de soin est bien plus dans l'injonction que dans l'écoute attentive. Ce qui aggrave le cas du patient : ne se sentant pas écouté.
Esthétiquement
Durant une heure, la pièce met en scène une descente en enfer psychique. Dans les différentes facettes de la pièce, les spectateurs sont mis devant une patiente en lutte constante avec ses propres démons et avec les paroles de sa psychanalyste. Cette dernière, apparaissant par intermittence dans la pièce, est toujours jouant dans un couloir de lumière. L'atmosphère de cette œuvre est blanchâtre. Cette couleur est mise au service de la folie et de l'univers psychiatrique avec ce qu'il comporte comme violence et cris de détresse.
La comédienne principale est tuée chaque jour par l'absence de ses proches, par le manque de soutien, par la désertion de ses amis. Elle vit une dissociation traumatique. De ce fait, son existence est "Sans titre" d'où le nom de la pièce. C'est un personnage en mal de personnalité, n'ayant pas d'impact sur les autres, vivant tout seul le sentiment de l'échec et de l'incapacité. De ce fait, Sarah se sent complètement perdue et sans repères. Ce malaise est exprimé par des inserts et des projections sur les organes d'expression comme la bouche, les lèvres et les yeux.
Pièce sous forme d'alertes
La pièce alerte sur le fait qu'il y a beaucoup de gens dans notre société vivant dans le même bourbier que Sarah, mais qui ne consultent pas. Ils sont insomniaques et très vulnérables aux maladies mentales. L'œuvre alerte en outre sur le stress rongeant notamment la gent féminine, entre autres ; laquelle face aux transformations sociales et de la guerre des genres, est confrontée à des rêves s'écrasant sur les montagnes de la crainte et sont source de boulimie.
Dans cette perspective, respirer, dormir, préparer à manger deviennent un tourment pour une personne vivant son quotidien comme un cauchemar permanent puisqu'elle hésite même à ouvrir la porte de sa maison quand quelqu'un frappe à celle-ci.
La pièce revient furtivement sur ce point traumatique ayant bouleversé la vie de Sarah. De ce fait, le spectateur ne sait pas exactement la source de ces montagnes de souffrances destructrices. Apparemment, c'est le viol de Sarah qui a eu lieu à l'âge de sept ans par un proche de sa famille. La pièce s'intéresse donc à l'après de ce crime ainsi qu'à ses séquelles psychiques. Pièce très exigeante cognitivement du comédien et du spectateur, mais à revoir quand l'occasion se présente.
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