Les comédiens se sont follement exprimés dans la pièce Moustouaj de Yahya Feidi
Le 5 novembre 2024, un public nombreux s'est déplacé pour voir l'avant-première de la pièce Moustouaj (Dialogue Bizentin, Ndlr) de Yahya Feidi à la Cité de la culture. La pièce est produite par Masque pour la production artistique dirigée par Lotfi Maoui. Il n'y avait pas réellement de place où s'asseoir tellement l'afflux de jeunes publics était important. Cette représentation est inspirée d'En pleine mer de Sławomir Mrożek. Dans ce travail jouent quatre comédiens charismatiques, bourrés d'humour et de talent, à savoir : Iheb Mrad, Mustapha Mansouri, Hazem Fenira et Salem Saléma. Ces quatre comédiens ont véritablement excellé à faire un mille-feuille d'histoires. Leur alchimie sur scène a bien fait surgir l'aspect animal et de ruse que détient chacun de nous lorsque se retrouvant en face d'un danger imminent.
Dans un style artistique ludique, décalé et contenant une grande recherche sur l’humour local, Mansouri, Mrad, Fenira et Saléma, ce quatuor, ont vraiment brillé lors de cette soirée au sein de la salle des Jeunes créateurs à la cité de la culture de Tunis.
Le pitch de la pièce
La pièce démarre par un aveu de faim, allant être le fil rouge du spectacle. Les trois personnages se trouvent en effet sur un radeau. Ce sont trois naufragés, livrés à eux-mêmes. Cela fait un certain temps qu’ils n’ont pas mangé ; même si l’un d’eux tente tant bien que mal d’attraper un poisson pour l’intérêt du groupe et trouver de quoi supporter cette misère inextricable en pleine mer. Le temps passe, leur situation devient tellement difficile que pour survivre, ils arrivent à la conclusion que l’un des trois doit être mangé.
De cette tragédie commence la comédie, les situations et les argumentations absurdes. Ainsi, les quatre comédiens Mansouri, Mrad, Fenira et Saléma ont complétement tenu en haleine un auditoire n'ayant pas cessé de rire durant une heure trente minutes de réel spectacle.
Dans cette ambiance de déchainement créateur, le jeu de Salem Saléma était très propre et d'une spontanéité inégalée ; lequel acteur a livré sa touche d’humour et d’ironie dont personne ne peut résister. Il joue en l'occurrence le rôle d'un postier en pleine mer. C’est celui apportant les nouvelles au cœur de la tourmente. Un peu plus tard, il réapparait pour annoncer l'anniversaire de l'un des trois personnages ; alors qu'ils attendent tout juste le secours. À chaque intervention de ce personnage, il devient, lui-même, source de convoitise pour les trois autres membres affamés : ils veulent qu'il soit leur proie, mais en même temps, ils n'arrivent pas à s'entendre sur la manière de le manger.
En outre, cette pièce contient un important volet politique. Elle interroge en l'occurrence notre vivre ensemble, les différents services publics existants dans le pays, la récurrence des différentes élections n'ayant plus de sens et les conventions sociales en cours de détérioration. Les quatre personnages ont pris une liberté sans limites dans l’expression de leur jeu et dans la livraison de messages critiques. Parfois, leur langage dépasse les normes de l'acceptation, mais ils demeurent dans l'expression artistique. Sans nul doute, leur performance est formidable et inouïe.
Scénographie minimaliste
L’intelligence des quatre comédiens dans le traitement de ce classique du théâtre apparait également dans la scénographie. L'éclairage était constant, une lumière blanche et bleue concentrée sur la scène de l’action et des marquages parterre facilitant le repérage des positions et des déplacements de chacun. Dans ce spectacle, il y a un vrai travail sur les costumes changeant selon les situations et l'évolution des échanges entre les personnages. Les artifices accompagnant cette dramaturgie sont simplistes : une guitare, une canne à pêche et un boitier en bois coloré en bleu.
Finalement, c'est la belle découverte de cette fin d'année 2024 et c'est réellement un nouveau-né se rajoutant aux différentes pièces distribuées actuellement dans le champ théâtral. Au fil des spectacles et des représentations, la narration sera, de fait, de plus en plus rodée pour ne pas donner l'impression d'un mélange de pinceaux : registre politique sur registre familial sur registre culinaire. Mansouri, Salema, Fenira et Mrad ont bel et bien illustré donc comment la justice et la liberté sont toujours faibles et fragiles face à la ruse, la cruauté et la lâcheté. Bon vent à cette adaptation réussie, car on en sort plus léger et regardant avec humour et recul les soucis quotidiens.
Comments