"Portail 52" pièce de théâtre de Dalila Meftahi : nouvelle archéologie féministe de l'histoire de la libération nationale
"Le portail 52" dans la pièce de théâtre de Dalila Meftahi est en effet une métaphore, prenant l'aéroport pour alibi, afin de faire une nouvelle archéologie de l'histoire. Le but est de reconnaitre la place du militantisme féminin dans le mouvement de libération nationale du joug de la colonisation française. Il faut dire que la gent féminine est bel et bien dominante dans notre pays. Elle veut désormais véhiculer sa doctrine, son récit et révéler l'ampleur de sa participation à la formation de l'histoire contemporaine de notre pays.
C'est dans ce contexte que s'est produite le 27 septembre 2024 à la cité de la culture de Tunis dans le cadre de la 5ᵉ édition de "Sorties au théâtre", s'achevant ce soir, la pièce "Le portail 52" de l'actrice vétérante et metteure en scène Dalila Meftahi. Dans cette pièce, la comédienne a un double rôle : à la fois directrice de cette œuvre et en même temps sur les planches. Elle a ainsi joué le rôle de la militante, oubliée par l'histoire Fatma Naifer. À ses côtés, il y avait, tour à tour, Sana Hafedh, dans le rôle de Hasnia Romadhan Amaied, Shaima Toujani, dans le rôle de Khadija Cheour, Abir Smidi, dans le rôle de Zakia Mohamed Lamine Bay et Kamel Kaabi, dans le rôle du douanier et aussi de l'enquêteur dévoilant une réalité historique. La pièce se déroule entre 1952 et 1956.
Ces cinq comédiens se partagent donc la représentation en refaisant l'histoire à leur manière dans cette pièce écrite par Donia Mnassria devant un public venant en grand nombre pour découvrir ce théâtre politique ressortant des personnages des limbes de l'oubli sous la forme de témoignages empruntant les intonations épiques du théâtre brechtien.
Désir de reconnaissance des apports des femmes
La pièce "Portait 52" incarne un certain féminisme d'État. Elle s'inscrit en effet dans une démarche visant à dépoussiérer des aspects de l'histoire de notre pays. Ces derniers ont été occultés, à tort ou à raison, par les historiens ; lesquels ont mis la loupe sur les actions des hommes et faisaient de l'ombre à celles des femmes. Dans cette perspective, la pièce met grand ouvert les projecteurs sur le parcours de quatre femmes activistes dans un contexte de décolonisation dans la lignée de plusieurs autres.
Celles-ci sont, premièrement, Zakia ben Mohamed Amine Bey, surnommée la "Panthère Noire". C'est une femme ne connaissant pas la peur et elle a été farouche défenseure de l'identité nationale. Elle est descendante du dernier Pacha de la famille Husseinite et a, entre autres, œuvré à soutenir la résistance armée en cachant des chefs des groupes militants, à l'instar de Mongi Slim se déguisant en femme à l'époque : en étant vêtu en sefsari. Selon la pièce, Zakia a également participé aux manifestations de 1952 et a bel et bien organisé des activités caritatives malgré l'emprisonnement de ses frères, sœurs et de son mari, le sage Hmida Ben Salem, et l'assignation à résidence de son père. Elle-même et sa famille ont été marginalisés par le nouveau pouvoir mis en place à partir de 1957.
La deuxième femme sur laquelle cette œuvre met les projecteurs est Hasnia Romadhan Aamyed. Celle-ci est originaire de la province de Gafsa et elle a porté main forte aux fellaghas, guerriers qui s'installaient au milieu des collines de djebel Orbata. Elle a, selon la pièce, participé au succès de leurs luttes, soigné les blessés et caché un certain nombre de dirigeants, dont Habib Bourguiba au passage à cet endroit par moment en 1952. Elle a participé aux opérations militaires et de guerres, selon l'œuvre, contre la force de l'occupation, notamment au pont Wadi al-Maleh entre Gafsa et Zanoush, détruisant des véhicules blindés de l'armée française et en tuant de ses 12 soldats, selon la représentation. À l'époque de l'Indépendance, les vents de la libération seront contre elle et son affiliation aux actions de Lazhar Chraïti seront considérés comme "terroristes" par le régime du Néo-destour. Ainsi, elle fut arrêtée, comme c'est raconté dans la pièce, et sera considérée par le système en place comme une "traîtresse de la nation".
Le troisième personnage de la pièce "Portait 52" est Mabrouka Guesmi, originaire de Béja (Nafza). Elle a, en l'occurrence, participé aux manifestations de 1952, soutenue des maquisards cachés à Béja. Ces derniers prenant djebel Bargou comme demeure. Ils bénéficiaient, entre autres, du soutien de Mabrouka, spécialement en nature et en prenant son domicile comme cachette. De ce fait, elle fournissait nourriture et vêtements aux maquisards. Dans ce mouvement de lutte prenant de la vigueur à partir de 1952, elle a, selon la pièce, perdu ses deux fils : le premier a été torturé et le second a été condamné à mort. Malgré ce sacrifice, Mabrouka Guessemi n'a reçu que de l'ingratitude après la décolonisation, de la marginalisation et l'effacement de ses traces après l'indépendance du pays, les informations sur son parcours sont avares dans cette perspective.
Quatrièmement, Fatma ben Ali Neifar, incarnée par la metteure en scène même, est née dans le quartier de Talah à djebel Bouhdma (à l'est de Gafsa). Elle était l'épouse du militant Mohamed Neifar et partageait avec lui les rêves de libération du colonialisme, de l'oppression et de l'injustice. Elle a partagé les luttes des fellagas et des youssefistes. Elle était pour l'indépendance totale dès 1952. Elle a été torturée et a bénéficié du soutien de la tribu des hmémas. Dans cette lutte, elle a vu sa famille éclatée. Ses proches et elle-même soutenait le commandement de Salah Ben Youssef avec qui elle luttait sur le terrain en prenant le maquis. Elle subissait, comme les autres femmes, selon la pièce un manque de reconnaissance de son patriotisme. Les informations dans la pièce ne sont pas très explicites sur ce point.
Sur le plan de la forme la pièce est améliorable en travaillant sur la réduction de l'ambiance de l'aéroport dérangeant effectivement à maintes reprises les spectateurs par les appels incessants de départ et des sons de cloches inutiles ; surtout pour un spectacle invitant à s'identifier avec ces femmes victimes de l'histoire. Tout compte fait, la pièce est substantielle et invite l'histoire dans un sujet lourd, à savoir celui du mouvement national. Représentation clairement à voir. Elle est en tournée depuis le début de cet été 2024 et sera programmée dans plusieurs espaces locaux et internationaux.
Merci pour cet article et pour l'information
Un article de fond, bravo