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Mohamed Ali Elhaou

La pièce Innocence de Houssem Sahli : quelle place de l'artiste dans notre société ?

Le 10 novembre 2024 au siège du Théâtre national à Halfaouine à Tunis à 17 h 30, le public avait rendez-vous avec la pièce de théâtre Innocence du metteur en scène Houssem Sahli. Cette pièce aborde les ambitions cassées de l'artiste, ses crises, ses projets inachevés et son déséquilibre entre les exigences de sa vie privée et de ses ambitions professionnelles. Dans cette représentation jouent deux formidables comédiens emplis de maturité et de belle esthétique de jeu. En l'occurrence, Fathi Boushila, il faut dire très rare en tant que comédien, et le très talentueux comédien Ramzi Slim.


Le 10 novembre 2024 au siège du Théâtre national à Halfaouine à Tunis à 17 h 30, le public avait rendez-vous avec la pièce de Théâtre Innocence du metteur en scène Houssem Sahli. Cette pièce aborde les ambitions cassées de l'artiste, ses crises, ses projets inachevés et son déséquilibre entre les exigences de sa vie privée et de ses ambitions professionnelles. Dans cette représentation jouent deux formidables comédiens emplis de maturité et de belle esthétique de jeu. En l'occurrence, Fathi Boushila, il faut dire très rare en tant que comédien et le très talentueux comédien Ramzi Slim.
Fathi Boushila et Ramzi Slim dans la pièce "Innocence" de Houssem Sahli au Théâtre national à Halfaouine le 10 novembre 2024, @Elhaou

Innocence, la pièce, de quoi il s'agit ?


Il pleut, un jeune homme, Yahia, la trentaine, marionnettiste, tente de mettre fin à ses jours par inadaptation à la fois à la sphère professionnelle qu'à la sphère privée. Au moment où ce dernier cherche à se pendre dans son domicile, en mettant en place tout un rituel de mort, un homme, Taieb, la soixantaine, ayant passé 30 ans à l'étranger sans succès, à Brescia en Italie, frappe à sa porte, car il ne trouve pas où dormir. Le temps de la pièce commence à minuit et dure jusqu'à cinq heures du matin.


Taieb veut récupérer sa famille et son fils qu'il avait quittés depuis trente ans. Il a l'espoir de reconstituer sa famille décomposée et retrouver son fils : en vain. C'est un mercantiliste ayant privilégié l'argent sur le lien familial. Au temps de la pièce, le metteur en scène montre qu'il a perdu les deux. Il avait entendu que sa femme ne veut plus ouvrir la porte de sa maison et que son fils se reclut dans les montagnes, fuyant le vacarme de la cité.


Yahia de son côté a perdu sa bien-aimée. Il est faible et ne peut pas affronter les incertitudes de la vie. Il n'a pas d'enfants, vit tout seul entre ses marionnettes. Ces dernières ne lui apportant ni public, ni joie, ni réussite ; où même de quoi vivre. Yahia dans le spectacle parle bien plus de sa mère. Celle-ci ne sourit plus depuis que son mari est décédé. Elle a élevé le petit Yahia toute seule sans aucune aide sociale. Yahia grandit dans la conflictualité avec sa mère. Avec elle, il n'a jamais trouvé le bonheur à cause de sa défiguration, à lui, de naissance et aussi du visage lugubre de sa mère.


À certain moment de la pièce, le personnage Yahia dit : "Ce n'est pas moi le malade, c'est toute la société qui l'est avec l'égoïsme régnant et des individus ayant le cœur en acier et avec ses rites absurdes et ses désorganisations à tout-va". La dramaturgie de la pièce est en outre bien ficelée, un pur plaisir 80 minutes durant.


La scénographie


Cette scénographie très bien organisée est le fruit d'un travail collaboratif entre Abdelkrim Dhifallah et Houssem Sahli. Le rythme de la pièce était donc très diversifié et fluide. La pièce est composée de cinq actes représentant des dialogues entre les deux personnages dans le dessein d'éviter le suicide par pendaison. Cet aspect est mis en forme dès l'entrée à la salle du spectacle où on voit une tête pendue sans le corps.


La lumière est très moderne, avec un noir dominant les situations dramatiques. Tantôt, elle est de profil, tantôt, elle est en plongée et dans d'autres en forme de couloir. La scénographie utilise bel et bien la technique du mapping pour accompagner l'évolution de l'intrigue. Sur scène, c'est la figure du Hibou qui est dominante. Elle surplombe exprès cette œuvre. Cet animal connotant dans notre culture la malchance et la malédiction. Yahia a un certain moment parle avec lui pour essayer d'avoir des explications sur son parcours catastrophique, chaotique, lui le travailleur et plein d'ambitions. L'oiseau ne répond pas.


Le décor est donc très minimaliste renvoyant vers la marginalité et une vie miséreuse. Aussi, au fond de la scène, à gauche se trouve la marionnette symbolisant la bien-aimée de Yahia. En haut, au côté des projecteurs sont suspendues des poupées. Celles-cis ont été exécutées par leur propriétaire avant qu'il ne décide de s'exécuter lui-même.


Toute la scénographie est donc mise au service de l'illustration des déchirements des deux personnages entre leurs rêves et la réalité de leur quotidien. Un décalage qu'ils n'arrivent pas à supporter et à le surmonter. Dans cette mise en scène plaît sincèrement une danse théâtrale effectuée par Ramzi Slim (ci-dessous dans la vidéo). Celui-ci a fait une performance sublime, notamment pour illustrer l'amour qu'il porte et qu'il garde pour sa conjointe même s'ils sont désormais séparés.



En dernier ressort, la pièce Innocence de Houssem Sahli, par le fait de montrer que l'art est dans une course vers son abîme dans notre pays, interroge, avec grande préoccupation, la place de l'artiste dans la société en tant que créateur, mais aussi un acteur important de l'idéologie de l'espoir. Autrement dit, comment faire si les travailleurs de l'espoir veulent eux-mêmes se suicider en absence de moyens matériels qui leur permettent une vie digne et un équilibre familial ? Pièce très bien orchestrée et sincèrement à voir, car on ne sait pas vraiment si les comédiens sur scène jouent dans la pièce une fiction où bien racontent véritablement leur propre vie.








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