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Mohamed Ali Elhaou

Kert de Mohamed Boussaidi : turpitudes du couple et musicalité libérant les tensions

Le 15 février 2024, un jour après la Saint-Valentin, le public du théâtre avait rendez-vous avec la deuxième représentation de la pièce Kert de Mohamed Boussaidi, fêtant en réalité l’amour à sa façon. Kert est un mot en langue arabe signifiant boucle d'oreille. Généralement, ce bijou se dénoue très difficilement. Il symbolise la force du lien. Ce premier travail de Mohamed Boussaidi est un grand pas dans le monde de l'art dramatique à travers lequel ce jeune metteur en scène ambitionne de prendre le chemin et pourquoi pas la relève de Fadhel Jaibi. C’est quelqu’un travaillant le quatrième art avec acharnement pour produire et représenter la simplicité et le quotidien de manière non seulement dramatique, mais aussi musicale. Cette pièce de théâtre est produite par le Théâtre National. Elle engage sur scène cinq comédiens. Respectivement, l’excellent Abdelsallem Majdoub, la ravissante Hajer Haj Kacem, l’élégant et charismatique Khalil Ben Hariz, la trouvaille Ameny Ben Fraj, une sublime cantatrice et réelle découverte de ce spectacle et Amen Riahi un bassiste à couper le souffle.



Des comédiens à l’attente du public


Dès que l’on rentre dans la salle du 4ᵉ art de l’avenue de Paris de Tunis, la salle abritant ce spectacle, on s’étonne que les comédiens, qui sont avec des habits du quotidien, attendent que leur public prenne sa place. Ils vont tous être là tout au long du spectacle sans sortie ni entrée. Sur le plan de la forme, le spectacle est parfait de point de vue de la lumière faite par le formidable artiste Iheb Mandra. Le son, quant à lui, dont les effets ont été soigneusement synchronisés avec les différentes plages de la dramaturgie, fruit d'un travail méticuleux de Heni Belhamadi.


Esthétiquement parlant, la pièce est un va-et-vient entre des séquences de narration faite par le ton très convaincant de Khalil Ben Hariz et des scènes de jeu dramatiques. Le débit de paroles de celui-ci surgissent sur un fond musical lyrique sortant de la gorge de l’excellente cantatrice Ameny Ben Fraj. Aussi, le rythme de la batterie change selon la progression et l’évolution de la tension entre les personnages de la pièce.


L’énergie des deux comédiens principaux de cette représentation, à savoir Abdelsallem Majdoub et Hajer Haj Kacem, est savamment poétisée, preuve que la pièce a été murement installée. Leurs paroles et gestes sont fusionnels, ainsi que leur jeu avec la grande table et les deux chaises dressées au milieu de la scène. La scénographie est répartie entre trois rideaux invisibles et mis en relief par l’éclairage. La parole dans le micro permet aux ingénieurs du son, situés sur la même planche que les comédiens, de produire des effets faisant surgir l’inconscient de ces derniers.


Kert de quoi s’agit-il ?


Kert symbolise et connote un lien déchiré. En effet, la pièce Kert raconte un sujet d’usage dans le théâtre tunisien, à savoir les histoires de conjoints, un jeune couple cette fois-ci. La valeur ajoutée de la pièce de Mohamed Boussaidi est qu’elle montre l’ampleur du désarroi traversant ce tandem appréhendant le vivre à deux. Ce sont deux personnes incapables de construire un climat de compréhension.


C’est un duo composé d’individus ayant souffert d’une enfance pas facile : violence parentale au menu, sinon un silence destructeur et une absence de ligne de conduite, le tout dans la peur, l'absence d'accompagnement et l’égarement. Du coup, en tant que candidat au vivre sous le même toit, les deux comédiens se trouvent dans un tiraillement, une incompréhension, une incapacité à devenir un et à construire un futur ayant du sens. Une famille.


En l'occurrence, la femme est déchirée entre son travail et les opportunités de carrière qui se présentent devant elle. L’homme est perdu, il veut se réaliser, mais ne trouve pas les moyens pour le faire. C’est un masculin incapable et dont le poids de la vie conjugale fait de lui une personne en quête de libération d’un engagement ressenti comme un piège et un fardeau. Le jeune couple mis en scène par Mohamed Boussaidi est ainsi un ménage dupé par ses ambitions démesurées et rêveuses et empoigné par sa quête de résoudre les incertitudes de la vie, très rapidement. De ce fait, les événements de la vie, au lieu d’être un lieu d’espoir et d’opportunité, sont plutôt sources de conflits d’égo, d’ambitions contrariées, d’expressions mutilées et de vie conjugale source de déchirement et de violence verbale et non verbale.


La pièce aborde donc la quête d’identité dans la vie conjugale et des individus en conflit permanent avec eux-mêmes, refoulant ce qu'ils sont et leur devenir. La durée de la pièce a été une heure pile, le public s’est amusé avec un texte bien ficelé et un très bon arrimage des jeux d’acteur. Une pièce légère et simple dans laquelle, on ne voit pas réellement le temps passer.  C’est tout simplement à ne pas rater ! Boussaidi, ce jeune metteur en scène ambitieux, nous rappelle que ce qui est bon dans le théâtre n'est pas le récit raconté, mais plutôt la manière de le faire.


Mohamed Ali Elhaou

4 Comments

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Guest
Feb 21
Rated 5 out of 5 stars.

Bravo

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amenybf084
Feb 16
Rated 5 out of 5 stars.

Excellent article! Tout écrit tout cité avec perfection, merci infiniment!

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Guest
Feb 16

Article bien écrit bravo!

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Guest
Feb 16
Rated 5 out of 5 stars.

Très bel article, bon courage à Mohamed Boussaidi

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