Come un granello di sabbia : monologue italien interrogeant la violence légitime de l'État
Le 2 novembre 2024 s'est produit pour la deuxième fois le spectacle Come un granello di sabbia, en tournée mondiale depuis 2019, au sein de l'espace culturel El Teatro à Tunis. Dans la pièce, ce titre signifie que la vie de l'individu devant une justice revancharde et protégeant les puissants est comme un grain de sable. Cet individu en effet peut facilement être écrasé par la machinerie des lois et de la coercition. De ce fait, ce monologue interroge fortement la violence légitime de l'État, surtout quand celui-ci se trompe, car protégeant les intérêts d'une oligarchie. Dans la pièce, une métaphore est utilisée pour qualifier la machinerie judiciaire comme "un magnétophone cassé qui bute au même endroit".
La pièce est en italien avec un surtitrage en français, placé au fond de la scène. Ce travail de traduction a été très bien élaboré par Elizabeth Grech, la responsable de communication et de relations internationales de Mana Chuma Teatro. La plupart des publics étaient des séniors : des Italiens et Français résidant à la capitale. Durant une heure, les spectateurs ont pu savourer la profondeur des questionnements de Salvatore Arena (acteur principal de ce monologue) et Massimo Barilla, le dramaturge. Giuseppe Gulotta (le protagoniste de cette histoire dans la vraie vie) et Nicola Biondo (jounaliste d'investigation) quant à eux ont effectué la recherche historique pour revenir aux différents épisodes d'un procès injuste.
Ce monodrame est d'ailleurs l'ultime tome de la quadrilogie A Sud della Memoria de la troupe théâtrale Mana Chuma. Les quatre représentations sont donc dédiées à l’histoire contemporaine de l'Italie du Sud. Cette histoire est marquée par la prolifération de l'esprit de revanche à la fois dans les institutions locales que parmi les citoyens de cette région connue, à tort ou à raison, par la violence et le meurtre.
Salvatore Arena, comédien très convaincant
Sur scène, le comédien Salvatore Arena a fait montre d'une grande performance et sincérité. Dans une salle complétement silencieuse, il a fait un jeu dramatique démontrant l'ampleur de sa palette artistique en tant que comédien. Dans une scénographie de spectacle minimaliste élaborée par Aldo Zucco et sur une musique fabriquée spécialement pour le spectacle élaborée par Luigi Polimeni, Salvatore Arena a donc bien déchainé son talent sur scène. En conséquence, cela a bien conduit à narrer clairement l'injustice ayant jalonné toute la vie de Giuseppe Gulotta. Ce dernier d'ailleurs est toujours présent dans les représentations : le spectacle s'inspire de ce qui lui est arrivé, réellement.
Salvatore Arena est en réalité un acteur engagé. Sur scène, il a su incarner le courage qu'avait Giuseppe Gulotta pour supporter l'injustice tout au long de sa vie, pour avoir un gain de cause vers la fin face à un système judiciaire corrompu. Ainsi, son innocence a été trouvée après des années de frustrations. Cet aspect lui a laissé une cicatrice symbolique indélébile. Avec soin et délicatesse, Salvatore Arena a bel et bien restitué une vérité authentique à son personnage et à l'histoire qu'il raconte. C'est un comédien dont l'art tourne autour de l'engagement de différents membres des régions du sud de l'Italie dans leur combat contre la mafia : la Cosa nostra. Celle-ci semble pervertir l'appareil judiciaire. Ce qui fait qu'il y a dans le sud italien plusieurs innocents qui sont sacrifiés sur l'autel de l'incarcération aveugle.
La pièce, plus précisément, raconte l'histoire de Giuseppe un jeune pauvre maçon, âgé de dix-huit ans vers les années 70, est en fait forcé d'avouer le meurtre de deux carabiniers dans une petite caserne à Alcamo en Sicile. Pour ce crime, enveloppé du mystère le plus épais, il fallait trouver n'importe quel bouc émissaire. Pour un crime imaginaire, Gulotta a vécu vingt-deux ans à la prison de Trapani et trente-six ans d'épreuves au sein d'un système carcéral ne voyant plus le nord.
Tout de même, bien qu'il soit un grain de sable à l'intérieur d'un énorme rouage, il a lutté pour voir son innocence reconnue. Ce n'est qu'au dixième processus d'examen qu'il a été remis en état de liberté. Tout compte fait, pièce réellement à voir, car elle interroge le monde dans lequel nous sommes où le dispositif judiciaire peut constituer une arme brouillant la vie des individus.
D'ailleurs, la pièce montre que les vrais meurtriers n'ont pas été trouvés jusqu'à présent. Aussi, la pièce explique comment l'oubli est un construit social et que les citoyens veulent oublier certaines choses : ils sont amnésiques par choix. Et c'est la raison d'être de cette œuvre-témoignage. Dans cette perspective dans laquelle l'esprit de revanche prime sur l'esprit de justice, la pièce met en scène donc comment "les symboles deviennent des coquilles vide de sens" (une réplique dite pour illustrer ce drame).
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