- Mohamed Ali Elhaou
Angham fi Dhakira 3 : dialogue de trois générations d'artistes pour une musique renaissante
Mercredi soir, 14 août 2024, un public fidèle, mais remplissant à moitié les gradins du festival de Carthage, a accompagné la troisième édition d'Angham fi Dhakira. Celle-ci est la troisième partie de deux précédentes ayant eu lieu l'année dernière et celle d'avant. C'est une production propre du festival afin de valoriser cet art qui semble délaissé par la jeune génération. Il faut dire que la plus réussie des trois éditions est celle de l'année dernière.
Deux heures de musique, bravant le temps, ont donc plongé le public dans les profondeurs du trésor musical de notre pays. Le spectacle est dirigé artistiquement par le compositeur Naceur Sammoud, paraissant renaître de ses centres comme un phénix, après plusieurs années d'invisibilité. Naceur Sammoud a produit des merveilles de notre chanson dans les années 80 et 90. Ce spectacle a mis sur les devants de la scène une jeune génération de professionnels de la musique : chanteurs, instrumentistes et musiciens. C'est une façon de dire que la relève est désormais assurée, d'autant plus que ce genre d'art est plus que jamais menacé par la musique fast-food ; c'est-à-dire le bruit du temps présent.
L'orchestre reprenant les mélodies, entre autres, de Chedly Hajji, de Naceur Sammoud et de Chedli Anouar est composé de 60 musiciens sous la baguette de leur jeune chef Racem Dammak. La soirée Angham fi Dhekira rassemble en effet trois générations successives d'interprètes. Participaient donc à ce concert la jeune Arij Brayik, la cantatrice Rehab Seghir, le grand Chedly Hajji, le vétéran Reda Chamak et le très élégant et fin Sofien Zaidi.
Au fil de cette soirée, ces artistes ont présenté une panoplie de morceaux restants intemporels dans la mémoire et dans le répertoire musical. Parmi ces morceaux, on retient surtout Al Azem, un morceau d'une beauté sublime qui s'est fait connaitre par le biais de l'éminente cantatrice Nawel Ghachem vers la fin des années 80, écrit par Habib Mahnouch et composé par Naceur Sammoud. Cette chanson est sa reproduction sur la scène mythique de ce théâtre romain a été parmi les moments forts de la soirée d'hier. Cette chanson restera intemporelle dans la mémoire collective par la qualité de ses paroles et l'intensité de son harmonie mélodique ; dommage que ce chef-d'œuvre ne soit pas très connu en dehors de notre territoire. À lui seul, il résume en l'occurrence les différentes couleurs musicales se produisant sous notre ciel.
Répétition avant le spectacle sur l'intro de Ghaddar de Chedly Hajji
La prestation de Sofien Zaidi attire l'attention
Dans cette pléthore d'artistes, la prestation de Sofien Zaidi attire l'attention. C'est un artiste avançant en silence et essaye de construire sa production propre au moment où un seul morceau musical nécessite de plus en plus d'investissement matériel et immatériel. Car le public est plus que jamais gâté et exigeant. Des récepteurs s'identifiant présentement à leurs goûts artistiques et du coup plus sélectifs et discriminants. Dans cette soirée du mercredi, Sofien Zaidi a excellé, entre autres, dans la revisitation de la chanson Ya Mahboubi, du très respectable Abdelwaheb Hanachi.
Habib Mahnouch et Chedly Hajji, piliers de la chanson
Le grand poète Habib Mahnouch est l'un des piliers les plus importants de notre chanson. C'est un artiste dont les mots drainent plusieurs générations. Il est l'auteur de multiples œuvres variées ayant fait surgir l'esprit artistique authentique. En effet, chacun de nous fredonne par exemple, dès les premières notes, la célèbre chanson Hadi Hadi de la grande défunte Nâama. Il est également le poète de Hams el Mouj de Monia Bedjaoui, Layam ouil maktoub de Nabiha Karawly et de plusieurs morceaux ayant construit la gloire de Slah Mosbah tels que Yam Issouad Somr, pour ne citer que ce tube. C'est, de plus, le plus fidèle compagnon de route de Naceur Sammoud.
Extrait du concert publié par l'organisation du festival
À ce magnifique parolier qui n'a pas encore de remplaçant, s'ajoute le très humble artiste Chedly Hajji. Ce dernier qui n'a plus rien à prouver, lui qui possède une voix très tendre ; mais dont l'art ne trouve plus beaucoup de place dans nos soirées depuis le début des années 2000. Hier, Hajji a été la cerise de ce spectacle et débordait d'énergie malgré ses soixantaines ou plus. Il a interprété les joyaux de son répertoire à savoir : Ghaddar hajeb innek, Mazelt Sghir, Mihi maa Laryeh, Mahla rabii chbebna. Sa présence rappelait le célèbre chanteur marocain, très vénéré dans le monde arabe, Abdelwahab Doukkali. Au final, soirée nécessaire pour la jeune génération, mais aussi pour renouer avec un art de groupe redonnant de la valeur et du respect aux professionnels éduqués du monde de la musique.
Crédit de la première photo : Zied Jaziri
Très bel article, objectif et juste, bonne continuation