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Mohamed Khalil Jelassi

« It's a Man's Man's Man's World »: la naissance d'un chef-d’œuvre musical!

« It's a Man's Man's Man's World »: une performance qualifiée d’historique, à l’unanimité de toutes les critiques! Ce mélange musical, entre Opéra, le monde de la symphonie et de l’art lyrique et le Soul, le registre de la rythmique et de l’harmonie afro-américaine, était jusque-là inenvisageable; jusqu’à ce que les deux géants de la musique en décident autrement. Ce chef-d’œuvre resté gravé dans les annales musicales jusqu’à présent a eu lieu un certain 28 mai 2002 à Modène en Italie, la ville natale de Luciano Pavarotti. Celui-ci est le ténor italien le plus connu de l’histoire de cet art.


Durant un concert mis en place dans un but humanitaire pour aider des réfugiés angolais, un duo inattendu a vu le jour. En l’occurrence, le style opératique s’est allié à la puissance du Soul, grâce à deux hommes, ou deux légendes de la musique qui se sont rencontrées pour interpréter ce qui deviendra un chef-d’œuvre aussi bien sur le plan interprétation que sur celui de la teneur de l'expression artistique et créative.



James Brown apporte son grain de sel au chant lyrique


James Joseph Brown ou The Godfather of Soul, né en 1933 à Barnwell, Caroline du Sud, et mort en 2006 à Atlanta, n’est autre qu’un musicien, chanteur, auteur-compositeur, danseur et producteur légendaire américain. Sa carrière couvrant six décennies, était suffisante pour le mener vers la cour des grands de la musique Soul, Jazz et Funk. De ce dernier genre, il fut même connu et reconnu comme étant l’un des précurseurs. Brown est l'une des figures les plus influentes de la musique populaire du XXe siècle et est réputé pour ses performances scéniques qui sont allées jusqu’à inspirés le King of Pop le jeune Michael Jackson. Brown a été d’ailleurs classé par le magazine "Rolling Stone" à la septième place dans sa List of the 100 Greatest Artists of All Time. James a commencé sa carrière comme chanteur de gospel en Géorgie avant d'intégrer et de devenir la figure de proue d'un groupe de R&B vocal : The Famous Flames. À la fin des 1950, il acquiert une notoriété internationale avec des balades comme Please, Please, Please et Try Me.


Mister Dynamite, comme ses fans et ses collaborateurs aiment le nommer, connaît son apogée dans les années 1960 avec des succès colossaux : Papa's Got a Brand New Bag, I Got You, I Feel Good et notamment It’s a Man's Man's Man's World. Ce morceau qui est déjà entré dans l’histoire du monde de la musique a pris une dimension de chef-d’œuvre lorsqu’il a été arrimé à la magistrale voix éternelle de la légende italienne de l’Opéra, Luciano Pavarotti. Brown en compagnie de Pavarotti a donc bien fait marier et doser sa voix, son énergie et son rythme de chant pour qu’ils sortent avec une belle harmonie scénique. Ceci s’est opéré en laissant une grande place à la voix imposante et le souffle imperturbable et l’endurance de Luciano pour qu’ils puissent s’insérer dans cette chanson populaire et l’élever au rang d’une musique culte.


Pavarotti, ce grand ténor Italien, étant peut-être le plus connu de tous les temps en compagnie bien entendu d’Enrico Caruso. Il est né en 1935 et décédé dans sa ville natale à Modena en 2007. Il fut souvent cité comme le prestigieux et le plus populaire chanteur d'Opéra du siècle passé. Sa notoriété, il l’acquiert grâce à une voix très aiguë et hors du commun lui permettant de passer aux rangs des ténors et grâce également à ses performances en chantant les plus grands airs du bel canto notamment Verdi et Puccini.


Durant ses cinquante ans de carrière, Pavarotti a milité pour populariser ce genre musical, jadis limité aux classes sociales les plus élevées. Ses efforts ont contribué à répandre la musique classique au cours de nombreux concerts télévisés, particulièrement lors des séries de représentations des « Trois ténors » avec Plácido Domingo et José Carreras. Son ouverture sur les autres genres musicaux lui a permis de collaborer avec d’autres artistes célèbres issus de plusieurs courants musicaux et culturels comme Eros Ramazzotti, U2, Sting, Elton John, Céline Dion, Barry White mais notamment James Brown. La performance de la prestation de ces deux monstres de la chanson occidentale en 2002 est restée dans les mémoires des milieux artistiques et populaires.


Un mélange surprenant, provoquant mais exceptionnel


Généralement lorsque deux mondes totalement différents se rapprochent, on s’attend à une rupture et à un conflit. Cette règle s’applique aussi à deux genres musicaux issus de deux cultures totalement différentes. Mais il n’en est rien de tel : cette performance intervient pour prouver le contraire !


La chanson interprétée a témoigné d’une coexistence musicale hors du commun, lorsque la musique classique a invité la musique Soul pour former un mélange homogène, exceptionnel mais provoquant. Assurément, le résultat est époustouflant. Sur scène, on voit les deux hommes interprétant la chanson en totale symbiose et formant un couple unique dans un cadre musical très profond en matière de sens en présence d’une armée étendue de public venant assister à cet hymne à la musique. Notons-le, l’orchestre musical qui a contribué au succès de cette performance était formé des quatre familles d'instruments : cordes, bois, cuivres et percussions; mais ce sont plutôt les cordes qui se sont distingués, étant commun entre les deux genres musicaux, à savoir la musique classique ou l’opéra et le pop-soul.


It's a Man's Man's Man's World illustrant un nouveau genre musical appelé conventionnellement crossover classique ou pop opératique. Un genre mêlant et combinant des éléments de style classique comme le chant lyrique, l'opéra et la musique savante avec la musique populaire Pop, Jazz et notamment Soul. Hybridation trouvant ses origines dans des initiatives musicales au début du siècle dernier lorsque des migrants italiens aux États-Unis popularisaient des chansons d’Enrico Caruso et inspireront la création de chansons nouvelles utilisant la langue italienne.


Le brassage culturel : mouvement de destruction créateur


Ce mélange de genres musicaux révèle également un brassage culturel entre deux catégories sociales, la classe noire américaine et la classe noble-bourgeoise occidentale dont les points communs sont difficiles à trouver. La Soul est associée à la musique noire américaine et apparaît pour la première fois dans le titre des deux albums de Ray Charles. Elle est, depuis sa genèse, liée à la culture afro-américaine. D’ailleurs, la jeunesse noire l'a utilisée comme mouvement contestataire pour réagir face à la communauté blanche aux États-Unis pendant les années 50. Le terme soul met en avant même la culture et la fierté de la communauté afro-américaine.


Par opposition à la musique populaire, la musique classique réfère au registre de la Renaissance, de l’ère médiévale et du chant grégorien. Elle est liée tout d’abord aux nobles, puis aux bourgeois. Dans ce contexte, la naissance de l’Opéra, a eu lieu à Florence en Italie au XVIIe siècle, un genre toujours réservé à une classe sociale relativement élevée émanant d’un groupe de musiciens et d'intellectuels humanistes florentins. Il est assez remarquable que rien ne pourrait concilier ces deux genres musicaux, ni leurs origines culturelles ou sociales, car ils sont issus de deux cultures, deux communautés humaines voire deux mondes sociaux totalement différents. Comme le mettent en exergue les travaux de recherche du sociologue Pierre Bourdieu, notamment sa théorie parue dans le livre La distinction, les groupes sociaux, classés en catégories sociales, sont marqués par un ensemble d’habitudes, de normes, de goûts, appelé par le sociologue habitus. En effet, selon sa théorie, chaque classe sociale est un reflet des conditionnements sociaux, des styles de vie et des conditions propres liées à l'environnement spatio-temporel. L'appartenance donc à une structure sociale façonne les goûts et les pratiques culturelles. Qu’est ce qui explique alors, la réussite ce brassage culturel entre deux cultures issues de deux catégories sociales totalement différentes ?


Il est vrai que derrière ce cadre théorique qui divise l’espace social en sous fractions et leur attribue des goûts, des habitudes et des normes communes, réside, au sein de chaque fraction sociale, un mouvement de résistance, de déconstruction créatrice des normes communes. Un bouillon culturel qui explique, en partie, le succès de ce genre de brassage interculturel à travers des mouvements qui brisent les distinctions au sein même d'un seul groupe. Autrement dit, des jeux quotidiens avec les frontières culturelles et symboliques établies qui se traduisent par des emprunts et qui prennent forme à travers des comportements mimétiques.


In fine l'espace social est défini comme un champ de forces dans la mesure où les agents sociaux, comme les qualifie Bourdieu, sont en perpétuel conflit. De ce dernier surgissent des mouvements sociaux. Mais la musique, et c’est cela sa force inexpliquée et mystérieuse, comme on le voit dans le clip supra, demeure toujours un terrain fertile où s’opère la déconstruction des murs hermétiques qui se dressent entre les univers socio-culturels.

Mohamed Khalil Jelassi


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